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5089. — DE M. PICTET[1].
Moscou, le 19-30 novembre 1762.

Monsieur, j’ai reçu hier la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, et je me hâte de répondre, quoique je ne sache point encore le jour que partira le courrier de M. le baron de Breteuil. Me serait-il permis de vous gronder ; j’en ai bien envie, mais je n’ose prendre cette liberté. Je vous ai écrit une longue lettre ; quoi que je vous aie dit, vous avez compris parfaitement que j’aurais trouvé le secret de la faire voir ; elle avait été vue en effet, et on attendait avec impatience une réponse. Cette réponse arrive ; mais si sèche, si nue, si décharnée, que je n’ai pas voulu la faire voir.

Il y a près de six mois que je n’écris pas une lettre à Genève sans persécuter pour qu’on vous prie de me confier vos deux nouvelles pièces, et les autres nouveautés qui peuvent être sorties de votre plume depuis mon départ. Je ne sais de quels termes me servir pour vous conjurer d’avoir cette bonté pour moi.

Vous dire que ma fortune dépend de votre complaisance à cet égard est certainement avancer beaucoup ; ce n’est cependant point trop dire : on a la bonté d’imaginer ici que je suis homme de lettres, et ce que vous avez eu la bonté d’écrire sur mon compte à M. de Schouvalow, et dont il a enfin parlé depuis quinze jours, a contribué à persuader que vous aviez quelque estime pour ma personne et pour mes talents.

On en conclut que vous ne devez pas me refuser copie de vos productions, et Sa Majesté, qui les sait presque toutes par cœur, ne cesse de me demander que je lui fasse avoir vos nouvelles pièces et tout ce que vous avez fait et ferez qui n’est pas imprimé dans l’édition de vos œuvres : vous devez être certain que personne que Sa Majesté ne verra ce que vous voudrez qui reste secret. Elle m’a permis de vous en donner sa parole ; seulement, elle m’a chargé de savoir si vous permettrez qu’on jouât à la cour vos nouvelles pièces, quand nous les aurons ; quand je dis jouer à la cour, ce n’est pas par les comédiens, que nous n’aurons que cet été, mais par les dames et les seigneurs de la cour ; en attendant, nous apprenons pour cet hiver : Zaïre, Alzire et Gengis-kan.


5090. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
21 novembre.

Ô mes anges ! n’avez-vous jamais vu un ministre donner audience, écouter cent affaires, et ne se soucier d’aucune ? N’avez-vous jamais vu un avocat plaider trois ou quatre causes sans

  1. Éditeur, Gabriel Charavay (Revue des autographes, octobre 1866, n° 10, page 88).