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des nouvelles de la czarine ? On a mis dans le Journal encyclopédique[1] une lettre où on parle des propositions qu’elle a eu la bonté de me faire ; les journalistes ont ajouté une note où ils disent, assez mal à propos, que je suis aussi cher à la France qu’à la Russie. Je crois bien être cher à quelques Français qui me le sont aussi ; mais cher à la France, tout me prouve que je n’ai pas l’honneur de l’être.

Je vois, par ce que vous me mandez, que nous ne tarderons pas à avoir le Corneille. N’oubliez pas de le louer beaucoup quand il est sublime ; et quand il est rabâcheur, faites-le sentir sans le dire : vous y gagnerez, et l’art y gagnera, parce que vous direz vrai, et ne blesserez personne. Je vous félicite au surplus de tous les plaisirs dont vous jouissez ; je ne doute point sur ce que vous m’en dites, de la bonté de vos acteurs ; je crois pourtant que vous aimeriez bien autant Clairon et Préville, si vous les aviez. On vient de m’apporter le billet d’enterrement du pauvre Sarrazin[2], que vous m’avez entendu si bien contrefaire. Vous pourriez me dire comme Phèdre :


Seigneur, il n’est point mort, puisqu’il respire en vous[3].


À l’égard de l’infame, si les dégoûts qu’on lui donne continuent, il ne sera pas nécessaire de lui arracher le masque, il tombera de lui-même ; en tout cas je crois trop dangereux de l’arracher, mais très-bien fait de le décoller peu à peu.


Plus fait douceur que violence.

(La Fontaine, liv. VI, fab. iii.)

Adieu, mon cher et illustre philosophe ; portez-vous bien, moquez-vous de tout, et même des méchancetés qu’on veut vous faire, et aimez-moi comme je vous aime. Je vous embrasse de tout mon cœur. Je serai bien content de voir Olympie régénérée ; je crois qu’elle en avait besoin : il n’y a que Candide au monde qui puisse trouver que tout soit bien dans l’ouvrage des six jours. J’ai bien entendu parler de ce Dictionnaire des hérésies[4] dont vous ne me dites qu’un mot, et j’ai grande envie de le voir ; la mine est précieuse et abondante.

  1. Dans le Journal encyclopédique du 1er novembre 1762, page 122, est une Lettre écrite de Pétersbourg au sujet de la dernière révolution. On y parle à la fin des propositions que l’impératrice Catherine fit à d’Alembert de se charger de l’éducation de l’héritier de l’empire ; et à cette occasion le journaliste dit que d’Alembert est aussi cher à la France qu’il pourrait l’être à la Russie. (B.)
  2. Voyez la note, tome XXXIV, page 40.
  3. Phèdre, acte II, scène v.
  4. Par Dictionnaire des hérésies, d’Alembert, qui avait indiqué à Voltaire l’ouvrage de Pluquet (voyez page 254), désigne ici le Dictionnaire philosophique de Voltaire, dont l’impression devait être bien avancée, puisque le 30 novembre Voltaire envoyait à Damilaville l’article Moïse (voyez lettre 5097).