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ses actions étant pour ainsi dire au soleil, il n’y a personne qui ne sache par soi-même ce qu’il peut mériter de louanges ou de blâme ; et j’ai toujours remarqué qu’à cet égard le public était très-juste, et sait bien mettre à leur place les auteurs ou les objets de l’éloge ou de la critique. Quant à moi, qui par bonheur ou par malheur (comme il vous plaira) n’ai pas la plus petite obligation à aucun de ceux qui gouvernent aujourd’hui, et à qui ils n’ont fait proprement ni bien ni mal, j’ai pris pour devise, à leur égard, ce beau passage de Tacite[1] : « Mihi Galba, Olho, Vitellius, nec beneficio, nec injuria cogniti … sed incorruptam fidem professis, nec amore quisquam, et sine odio dicendus est. » J’aurais été très-fâché que l’on m’eût soupçonné d’être le bureau d’adresse des satires qu’on s’avise de faire contre le gouvernement, dont je n’ai ni à me louer ni à me plaindre, et dont je ne voudrais d’ailleurs me venger, si j’en étais persécuté, que par une conduite qui fit rougir les persécuteurs. Mais de quoi je suis bien étonné, c’est qu’on ait pu vous attribuer un moment une rapsodie où il n’y a ni goût, ni style, ni finesse, et où on a même eu l’esprit de défigurer le peu qu’on a conservé de votre véritable lettre. Je crois en effet que M. de Choiseul doit voir à présent que nous sommes dignes de son estime ; à l’égard de ses bontés, je vous en souhaite la continuation. Vous devriez l’engager, puisqu’il vous écoute et vous aime, à accorder quelque protection aux pauvres roués de Toulouse. La veuve vint me voir il y a quelques jours, et m’apporter son mémoire ; ce spectacle me fit grande pitié. Il ne faut pas se plaindre d’être malheureux quand on voit une famille qui l’est à ce point-là. Je parlerai et crierai même en leur faveur, c’est tout ce que je puis faire ; mais s’ils sont innocents, comme j’en suis persuadé, et qu’on ne force pas le parlement de Toulouse à leur faire réparation, je ne pourrai m’empêcher de dire : Dans quel pays sommes-nous ?

Pour la philosophie, je ne crois pas qu’Omer et Palissot lui fassent réparation sitôt ; mais, en attendant, on fait justice de ses ennemis. Cependant il y a, dit-on, vingt-quatre jésuites retirés à Versailles ; ce sont les vingt-quatre vieillards des Provinciales[2] ou de l’Apocalypse[3], comme il vous plaira. Le parlement ne les y voit pas de bon œil, et se propose, dit-on, dès qu’il sera rentré, d’enfumer le terrier où se sont accroupis ces renards, ou plutôt ces vieux lapins, car ils ne sont plus guère renards. L’abbé de Chauvelin sera dans cette chasse le basset à jambes torses.

Eh bien ! que dites-vous de la paix ? et croyez-vous pour le coup que votre ancien disciple s’en tire ? Ce serait un grand malheur pour la philosophie que la maison d’Autriche, encore superstitieuse, fut la maîtresse de l’Allemagne, où la vigne du Seigneur ne laisse pas de fructifier. On dit que pour dédommager la maison de Saxe, qui a bien l’air de payer les frais, on donnera un evêché en France ou en Allemagne au prince Clément ; ce sera une maison crossée et mitrée. À propos de ceux qui la crossent, avez-vous

  1. Histoires, liv. I, chap. i.
  2. Voyez la cinquième lettre, Du Jeûne.
  3. Chap. iv.