Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome42.djvu/27

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui est le recours des auteurs sans génie. C’est à ce pitoyable goût qu’on doit le retranchement des plaisanteries du Droit du Seigneur. Je m’intéresse fort à cette pièce ; je sais qu’on me l’attribue, mais je vous jure qu’elle est d’un académicien de Dijon. Regardez-moi comme un malhonnête homme si je vous mens[1]. Je vous prie, vous et vos amis, de le dire à tout le monde : nous jouerons incessamment cette pièce sur un théâtre charmant, que vous devriez bien venir embellir de vos talents admirables.

On dit que Mlle Dubois n’a pas joué Atide en fille desprit, et que Brizard est à la glace : ce n’est pas ainsi que nous jouons la comédie chez nous. Comptez qu’à tout prendre notre tripot vaut bien le vôtre. Mlle Corneille joue Colette comme si elle était l’élève de Mlle Dangeville : c’est une laideron très-jolie et très-bonne enfant ; j’ai fait en elle la meilleure acquisition du monde. Monsieur son oncle me fatigue un peu : il est bien bavard, bien rhéteur, bien entortillé, et vous présente toujours sa pensée comme une tarte des quatre façons ; cependant il faut le commenter. Vous êtes sans doute sur la liste ; ce sont les Cramer qui sont chargés des détails. Pour moi, je ne me mêle que d’être un très-petit commentateur, beaucoup moins pour le service de l’oncle que pour celui de la nièce. Entre nous, vive Racine ! malgré sa faiblesse.


4811. — À M. LE CARDINAL DE BERNIS.
Aux Délices, 20 janvier.

Avez-vous, monseigneur, daigné recommencer Rodogune, que j’eus l’honneur d’envoyer à Votre Éminence il y a un mois ? Vous avez pu faire lire les Commentaires en tenant la pièce, c’est un amusement ; dites-moi donc quand j’ai raison et quand j’ai tort : c’est encore un amusement.

En voici un autre : c’est mon œuvre de six jours, qui est devenu un œuvre de six semaines. Vous verrez que j’ai profité des avis que vous avez bien voulu me donner. Il n’y a que ce poignard qu’on jette toujours au nez ; mais je vvvous promets de vous le sacrifier. J’aime passionnément à consulter ; et à qui puis-je mieux m’adresser qu’à vous ? Aimez toujours les belles-lettres, je vous en conjure : c’est un plaisir de tous les temps, et, per Deos immortales, il n’y a de bon que le plaisir, le reste est

  1. Voltaire était membre honoraire non résident de l’Académie de Dijon depuis le 3 avril 1761.