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les expressions de ma reconnaissance. Je suis trop languissant, trop misérable, pour écrire à d’autres qu’à vous. Nous verrons si, avant votre départ pour Paris, je serai assez heureux pour venir vous dire que vous n’aurez jamais de serviteur plus tendrement attache que V.


5039. — À M. LE COMTE DE LA TOURAILLE.
Genève, 20 septembre[1].

Je vous félicite, monsieur, sur les deux dernières victoires que M. le prince de Condé vient de remporter[2]. Les héros de cette maison se sont tous fait une habitude de vaincre ; ils ont été successivement la terreur et la gloire de leurs souverains.

Quand reviendrez-vous à Paris ? Je vous aimerais tout autant à l’hôtel de Condé qu’à la poursuite du prince héréditaire.

Vous m’avez l’air, monsieur, de penser un jour comme un de vos précurseurs, homme de qualité, attaché à un autre grand Condé qu’il se lassa d’accompagner dans ses dernières campagnes.

Autant que je m’en souviens, voici de petits vers qu’il fit en se retirant dans ses terres. Je les tiens d’un intime ami de feu Son Altesse sérénissime M. le Duc. Ces vers sont très-bons pour un militaire : le héros, tout héros qu’il était, en connaissait le prix. Cela prouve du moins que l’âge amène quelquefois la sagesse.


Je laisse mon illustre maître,
Insatiable de lauriers ;
Philosophe autant qu’on peut l’être,
Je vais mourir dans mes foyers,
Où, traînant ma faible vieillesse,
Dont je sens déjà le fardeau,
J’irai, conduit par la Paresse,
Occuper mon petit tombeau.
Je suis las du bruit que vous faites,

  1. Cette lettre est ordinairement datée du 30. Je lui donne la date du 20, parce que c’est celle qu’elle porte dans le Nouveau Recueil de gaieté, etc., publié par le comte de La Touraille, 1785, deux volumes in-12. (B.)
  2. La division commandée parle prince de Condé avait eu la plus grande part à la victoire remportée à Johannisberg, en Hesse, par l’armée des maréchaux d’Estrées et de Soubise, le 30 août 1762. Cinq jours auparavant, le 25, le prince avait forcé à la retraite le prince Ferdinand de Brunswick, qui était venu l’attaquer à Gruningen. — La Touraille était écuyer du prince de Condé.