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tant la veuve a pris soin de me bien informer. J’attendrai patiemment le mémoire de Mariette ; mais je vous avoue que j’attends avec impatience celui d’Élie.

Ne faudrait-il pas, quand les juges seront nommés, les faire solliciter fort et longtemps, soir et matin, par leurs amis, leurs parents, leurs confesseurs, leurs maîtresses ? Ceci est la cause du bon sens contre l’absurdité, et de l’humanité contre la barbarie fanatique. Il sera bien doux de gagner ce procès contre les pénitents blancs. Est-il possible qu’il y ait encore de pareils masques en France ?

Mes anges, il y a longtemps que j’ai envie de vous écrire sur le philosopbe qui veut épouser[1]. Voici l’état des choses. Quand l’extrême protection, et la grande considération qu’on me prodiguait, força ma modestie à quitter la France, j’avais des rentes viagères et de l’argent comptant. Je me suis défait de ce dernier embarras en assurant à Mme Denis seize mille livres de rente ; j’en ai donné trois à Mme de Fontaine ; j’en ai assuré quinze cents ou environ à Mlle Corneille : le reste a été englouti en maisons, châteaux, meubles, et théâtre. Je ne sais pas encore ce qui reviendra à Mlle Corneille de l’édition de Pierre, mais je crois que cela lui formera un fonds d’environ quarante mille livres. Je lui donnerai une petite rente pour ma souscription. Il ne faut pas se flatter que je puisse davantage. Ne comptons même l’édition de Corneille que pour trente mille livres, afin de ne pas porter nos espérances trop haut, et de n’être pas obligé de décompter.

Si le philosophe est vraiment philosophe, et veut demeurer avec nous jusqu’à ce que son père lui cède son château, il jouira d’une assez bonne maison ; mais qu’il ne croie pas épouser une philosophe formée. Nous commençons à écrire un peu, nous lisons avec quelque peine, nous apprenons aisément des vers par cœur, et nous ne les récitons pas mal : la santé est très-faible, le caractère est doux, gai, caressant ; le mot de bonne enfant semble avoir été fait pour elle. J’ai rendu un compte fidèle du spirituel et du temporel, du physique et du moral, et je m’en tiens là, en me remettant à la Providence,

Voilà les juges nommés pour la révision du procès des Calas. On est instruit du nom des juges ; on espère que nos anges protecteurs les feront bien solliciter, et on se flatte que la cause elle-même les sollicite.

Mille tendres respects.

  1. Voyez lettre 4777.