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qu’on nomme parlement en Angleterre représente nos états généraux.

Pourquoi, le gouvernement goth, tudesque et vandale, ayant été partout le même, serions-nous les seuls chez qui une cour suprême de justice aurait été substituée aux représentants des chefs de la nation ? Les audiences d’Espagne ne sont point las cartes, et n’y ont aucun rapport ; la chambre impériale de Vetzlar, quoique toujours présidée par un prince, n’a aucune analogie avec la dicte de l’Empire.

Aucune cour supérieure ne représente la nation dans aucun pays de l’Europe. Comment la France seule aurait-elle établi ce droit public ? et si elle l’avait établi, comment ne serait-il pas authentique ? Si chaque parlement tient lieu des états généraux pendant la vacance de ces états, il est clair qu’il est à leur place : que devient donc alors le conseil du roi ?

Vous sentez bien que cela est embarrassant. Mettez la main sur la conscience. Au reste, je suis sans intérêt, ne descendant, que je sache, d’aucun Franc qui ait ravagé les Gaules avec Ildovic nommé Clovis, ni d’aucun seigneur qui ait trahi Louis V et Charles de Lorraine ; n’étant d’aucun corps, n’étant ni tonsuré ni maître ès arts ; ayant un pied en France et l’autre en Suisse, et les deux sur le bord de la fosse. Je suis assez de l’avis d’un Anglais qui disait que toutes les origines, tous les droits, tous les établissements, ressemblent au plum-pudding ; le premier n’y mit que de la farine, un second y ajouta des œufs, un troisième du sucre, un quatrième des raisins, et ainsi se forma le plum-pudding.

Voyez ce qu’étaient Lin et Clet, supposé qu’il y ait eu des Clet et des Lin[1] : reconnaîtraient-ils aujourd’hui leurs successeurs ? Le fils de Marie même reconnaîtrait-il sa religion ? Tout dans l’univers est fait de pièces et de morceaux. La société humaine me paraît ressembler à un grand naufrage : Sauve qui peut ! est la devise des pauvres diables comme moi. Pour vous, monsieur, qui avez une belle place dans le vaisseau, c’est tout autre chose. Vous avez jeté Loyola à la mer, et votre vaisseau n’en va que mieux. Il y a une chose dont on doit s’apercevoir à Paris, supposé qu’on réfléchisse : c’est que la vraie éloquence n’est plus qu’en province. Les Comptes rendus en Bretagne et en Provence[2] sont

  1. Voyez la note sur la lettre 4720.
  2. C’est à J.-P.-Fr. de Ripert de Monclar, procureur général au parlement d’Aix, mort en 1773, que l’on doit le Compte rendu des constitutions des jésuites au parlement de Provence, 1762, in-12.