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dessein de demander justice ; l’oserait-elle si son mari eût été coupable ? Elle est de l’ancienne maison de Montesquieu, par sa mère (ces Montesquieu sont de Languedoc) ; elle a des sentiments dignes de sa naissance, et au-dessus de son horrible malheur. Elle a vu son fils renoncer à la vie, et se pendre de désespoir ; son mari, accusé d’avoir étranglé son fils, condamné à la roue, et attestant Dieu de son innocence en expirant ; un second fils, accusé d’être complice d’un parricide, banni, conduit à une porte de la ville, et reconduit par une autre porte dans un couvent ; ses deux filles enlevées ; elle-même enfin interrogée sur la sellette, accusée d’avoir tué son fils, élargie, déclarée innocente, et cependant privée de sa dot. Les gens les plus instruits me jurent que la famille est aussi innocente qu’infortunée. Enfin si, malgré toutes les preuves que j’ai, malgré les serments qu’on m’a faits, cette femme avait quelque chose à se reprocher, qu’on la punisse ; mais si c’est, comme je le crois, la plus vertueuse et la plus malheureuse femme du monde, au nom du genre humain, protégez-la. Que M. le comte de Choiseul daigne l’écouter ! Je lui fais tenir un petit papier qui sera son passe-port pour être admise chez vous ; ce papier contient ces mots : « La personne en question vient se présenter chez M. d’Argental, conseiller d’honneur du parlement, envoyé de Parme, rue de la Sourdière. »

Mes anges, cette bonne œuvre est digne de votre cœur.


4927. — À M. RIBOTTE[1].
11 juin 1762.

La personne à qui M. Ribotte a écrit est informée du départ de cette malheureuse mère. Il lui rend tous les services possibles, mais malheureusement nous sommes très-peu informés du fond de l’affaire. Ceux qui pourraient nous donner le plus de lumières gardent un silence bien lâche, et qui même est suspect.

Il y a près de deux mois qu’on attend un mémoire détaillé, et on ne nous l’envoie point. Cette nonchalance dans une affaire qui demande les soins les plus pressants n’est pas pardonnable. Il faudrait engager ceux qui sont instruits à nous instruire dans le

    Calas à Paris. Voltaire est au nombre des personnages, quoiqu’il ne fut pas à Paris au moment de l’arrivée de Mme Calas, et qu’il n’y vint que seize ans plus tard (B.)

  1. Bulletin de la Société de l’Histoire du protestantisme français. Paris, 1856, page 242.