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M. le maréchal de Richelieu m’a écrit une grande lettre sur les Calas, mais il n’est pas plus au fait que moi. Le parlement de Toulouse, qui voit qu’il a fait un horrible pas de clerc, empêche que la vérité ne soit connue. Il a toujours été dans l’idée que toute la famille de Calas, assistée de ses amis, avait pendu le jeune Calas pour empêcher qu’il ne se fît catholique. Dans cette idée, il avait fait rouer le père par provision, espérant que ce bonhomme, âgé de soixante-neuf ans, avouerait le tout sur la roue. Le bonhomme, au lieu d’avouer, a pris Dieu à témoin de son innocence. Les juges, qui l’avaient fait rouer sur de simples conjectures, manquant absolument de preuves juridiques, mais persistant toujours dans leur opinion, ont condamné au bannissement un des fils de Calas soupçonné d’avoir aidé à étrangler son frère ; ils l’ont fait conduire la corde au cou, par le bourreau, à une porte de la ville, et l’ont fait ensuite rentrer par une autre, l’ont enfermé dans un couvent, et l’ont obligé de changer de religion.

Tout cela est si illégal, et l’esprit de parti se fait tellement sentir dans cette horrible aventure, les étrangers en sont si scandalisés, qu’il est inconcevable que monsieur le chancelier ne se fasse pas représenter cet étrange arrêt. Si jamais la vérité a dû être éclaircie, c’est, ce me semble, dans une telle occasion.

Je passe à d’autres objets plus intéressants. Vous me paraissez, vous autres, mépriser le nouveau czar ; mais prenez garde à vous : un homme qui vient d’ôter tout d’un coup cent mille esclaves aux moines, et qui met tous ces moines dans sa dépendance, en ne les faisant subsister que de pensions de la cour, est bien loin d’être un homme méprisable. Le voilà uni avec les Anglais et les Prussiens, gens moins méprisables encore. Prenez garde à vous, vous dis-je ; comptez que vous ne voyez point les choses à Paris et à Versailles comme on les voit au milieu des étrangers. Je suis dans le point de perspective ; je vois les choses comme elles sont, et c’est avec la plus grande douleur.

Parlons maintenant de Mme la duchesse d’Enville. À peine vous eus-je envoyé, mes divins anges, la lettre par laquelle je lui offrais les Délices, que je fus attaqué d’une fièvre violente et d’une inflammation de poitrine ; Tronchin me fit transporter sur-le-champ aux Délices ; il ne me quitta presque point ; la nature et lui m’ont sauvé ; je suis encore dans la plus grande faiblesse, et je ne puis ni marcher ni écrire.