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vous vous êtes lié avec M.  Diderot, pour qui j’ai une estime égale à son mérite ; la lumière qui éclaire son esprit échauffe son cœur. Je ne me console point qu’un si beau génie, à qui la nature a donné de si grandes ailes, les voie rognées par le ciseau des cafards. Celui d’Atropos coupera bientôt les miennes ; mais, en attendant, je m’en sers avec quelque satisfaction pour tomber sur les chats-huants qui veulent nous manger. Ces petits amusements me délassent quand j’ai tenu la charrue de la même main qui osa crayonner la bonté de Henri IV et le fanatisme de Mahomet.

Je vous remercie, moi et mon petit pays, du Mémoire[1] sur les blés. Je crois que, de tous les poëtes, je suis le plus utile à la France ; j’ai défriché une lieue de pays, je fais vivre deux cents personnes qui mouraient de faim. Amphion arrangeait des pierres, et je secours des hommes. Voilà les droits, monsieur, que j’ai à votre amitié. J’ai renoncé au tumulte de Paris ; on y perd son temps, et ici je l’emploie. Celui que je crois le mieux employé est le moment où je lis vos lettres, et celui auquel je vous assure de mon estime sincère et de mon attachement véritable.

Permettez que je mette dans ce paquet une lettre pour l’ami avec lequel vous avez transporté la sagesse à la taverne.


4341. — À M.  THIERIOT.
19 novembre.

Mon cher et ancien ami, vos dernières lettres sont charmantes ; mais vous ne disiez pas que vous aviez gobelotté au cabaret avec M.  Damilaville ; il me paraît digne de boire et de penser avec vous.

Embrassez pour moi l’abbé Mords-les ; c’est un grand malheur que deux ou trois lignes[2] échappées à sa juste indignation aient arrêté sa plume ; il était en beau train. Je ne connais personne qui soit plus capable de rendre service à la raison.

Quoi ! vous ne saviez pas qu’il y a, dans l’Histoire de l’Académie des sciences, un Mémoire de M.  Le Rond, jeune homme de

  1. Mémoire contenait le détail et le résultat d’un grand nombre d’expériences faites l’année dernière par un laboureur du Vexin, pour parvenir à connaître ce qui produit le blé noir, et les remèdes propres à détruire cette corruption ; Paris, Imprimerie royale, 1760, in-4o. L’auteur s’appelait de Goufreville, et était fermier près de Vernon.
  2. Voyez tome XL. page 412.