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et femmes dévotes, ont encore moins de ménagements à garder qu’un ancien ministre. Le duc de Villars s’est embarqué sur le Rhône, et n’a point passé à Montélimart. J’admire la fécondité et la jeunesse de votre esprit : cela prouve, outre le grand talent, une bonne santé. Lorsque le corps souffre, l’esprit est bien malade. Conservez longtemps votre gaieté, votre santé en sera plus ferme, et vos ouvrages en seront plus piquants et plus aimables. Il est inutile que je vous assure que je ne prendrai ni ne laisserai prendre de copie de votre tragédie. Adieu, mon cher confrère ; je vous aime presque autant que je vous admire.


4752. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
À Ferney, 18 novembre.

Vous m’affligez, madame ; je voudrais vous voir heureuse dans ce plus sot des mondes possibles, mais comment faire ? C’est déjà beaucoup de n’être pas du nombre des imbéciles et des fanatiques qui peuplent la terre ; c’est beaucoup d’avoir des amis : voilà deux consolations que vous devez sentir à tous les moments. Si, avec cela, vous digérez, votre état sera tolérable.

Je crois, toutes réflexions faites, qu’il ne faut jamais penser à la mort : cette pensée n’est bonne qu’à empoisonner la vie. La grande affaire est de ne point souffrir, car, pour la mort, on ne sent pas plus cet instant que celui du sommeil. Les gens qui l’annoncent en cérémonie sont les ennemis du genre humain ; il faut défendre qu’ils n’approchent jamais de nous. La mort n’est rien du tout ; l’idée seule en est triste. N’y songeons donc jamais, et vivons au jour la journée. Levons-nous en disant : Que ferai-je aujourd’hui pour me procurer de la santé et de l’amusement ? C’est à quoi tout se réduit à l’âge où nous sommes.

J’avoue qu’il y a des situations intolérables, et c’est alors que les Anglais ont raison ; mais ces cas sont assez rares : on a presque toujours quelques consolations ou quelques espérances qui soutiennent. Enfin, madame, je vous exhorte à être toute la vie la plus heureuse que vous pourrez.

Votre lettre m’a fait tant d’impression que je vous écris sur-le-champ, moi qui n’écris guère. J’ai une douzaine de fardeaux à porter ; je me suis imposé tous ces travaux pour n’avoir pas un instant désœuvré et triste ; je crois que c’est un secret infaillible.

Je ferai mettre dans la liste de ceux qui retiennent un Corneille commenté les personnes dont vous me faites l’honneur de me parler. J’aime passionnément à commenter Corneille, car il a