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dre ainsi, il s’est trompé, et tant pis pour lui. Je les aurais encore passées en quittance à Charlot Baudy, sans lui en parler à lui, si je l’eusse vu s’affectionner à ma terre, y faire ce qu’il est tenu d’y faire, ne pas mentir sur cet article comme sur les autres (car je sais qu’il l’abandonne tout à fait), et surtout s’il n’eût pas cherché à me fourber pendant six mois sur un autre article que vous savez.

Comme il sent qu’il n’a rien de bon à dire, il se jette à quartier, selon son artifice ordinaire ; outre qu’il n’a pas le sens commun en affaires, tout regardant de près, tout intéressé et chicaneur qu’il est. Il a dit d’abord que ce n’était pas une commission, mais un présent. Il me l’a ensuite demandé à genoux. Je vous montrerai sa lettre, qui est pitoyable. Elle me fit tant de pitié que je lui donnais tout de suite, sans Ximenès, qui de hasard se trouva chez moi en ce momment[1]. Il me dit : « Vous seriez bien fol de donner douze louis à ce drôle-là, qui a cent mille livres de rente, et qui, pour reconnaissance, dira tout haut que c’est que vous ne pouviez faire autrement. » Ensuite il a prétendu que c’était une des conventions de notre marché, ce qui est faux, et très-faux. Il faut qu’il soit bien hardi pour avancer pareille chose, outre que l’acte le dément ! Les bois sur pied sont à lui (en laissant 60 arbres par pose), ce qui exclut nettement ceux qui étaient coupés avant le traité. On a bien eu attention de spécifier dans l’acte huit pieds d’arbres sur pied comme étant exceptés, parce qu’ils étaient déjà vendus auparavant ; comment n’aurait-on pas excepté aussi les quatorze voies du bois coupé, si elles eussent été à lui par convention ?

Finalement, le voici qui dit qu’il a acheté trop cher, et que le bois n’est pas assez grand, comme sil s’agissait de cela ! S’il a acheté cher, tant pis pour lui, j’en voudrais tenir le double. Cela ne l’a pas empéché, après deux ans de jouissance, de m’en offrir 145,000 livres. Pour la contenue, au diable soit si je connais ma terre ! Je ne sais que le cadastre qui en a été fait publiquement par ordre du roi, sans ma participation et en mon absence. Il a l’acte entre ses mains tout comme moi[2].

  1. Le marquis de Ximenès.
  2. Ce qu’on vient de lire était sous presse lorsque s’est retrouvée une lettre de M. de Brosses à Voltaire, de juillet 1760. Un seul passage de cette lettre a trait aux plaintes du philosophe sur la contenance du bois de Tournay. Le voici :

    L’article des moules de bois que vous a vendus Charlot n’a rien de commun avec l’arpentage fait par les géographes. J’ai toujours oui dire que la forêt contenait environ 90 coupées ou poses. (Je ne sais pas trop lequel, et ne sais pas mieux la valeur de ces mesures locales. L’erreur de là à vingt est si grande qu’elle en devient peu probable. Quoi qu’il en soit, vous saviez beaucoup mieux que moi ce qu’il y avait, puisque vous êtes sur place et que vous aviez, comme de raison, exactement et plus d’une fois visité le terrain avant de faire le marché ! Il n’a jamais été question entre nous de dismensurations géométriques, mais de vous remettre les fonds tels qu’ils étaient, tels que vous les connaissiez, tels que je les avais et qu’on en avait joui ci-devant. »

    Sans relever l’hyperbole du poëte, qui n’accusait d’abord que vingt poses, on peut noter que 43 arpents et demi équivalent à 23 hectares 21 ares 51 centiares, et que 20 poses donneraient 24 hectares 30 centiares. La différence ne serait donc que d’un hectare c’est-à-dire d’un vingt-quatrième ; et il est de principe que,