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4733. — À M. LE CONSEILLER LE BAULT[1].
À Ferney, pays de Gex, par Genève, 4 novembre 1761.

Monsieur, j’ai l’honneur de vous demander trois tonneaux de vin (deux de bon vin ordinaire et un d’excellent), le tout en bouteilles ; bien potable, bien gardable, et surtout très-peu cher, attendu que M. le président de Brosses m’a ruiné, et qu’il faut que le premier conseiller du parlement répare les torts d’un président.

Ayez la bonté de lire ma lettre à M. de Brosses, et jugez sur votre honneur et sur votre conscience.

C’est en honneur et en conscience que je serai toute ma vie, monsieur, avec les sentiments les plus respectueux, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire[2].

4734. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Streblen, novembre.

Le solitaire des Délices ne se rira-t-il pas de moi et de tous les envois que je lui fais ? Voici une pièce[3] que j’ai faite pour Catt ; elle n’est pas dans le goût de mes élégies, que vous avez la bonté de caresser. Ce bon enfant, me voyant toujours avec mes stoïciens, me soutint, il y a quelques jours, que ces beaux messieurs n’aidaient point dans l’infortune ; que Gresset, le Lutrin de Boileau, Chaulieu, vos ouvrages, convenaient mieux à ma triste situation que mes bavards philosophes dont on pourrait se passer, surtout lorsqu’on avait soi-même cette force d’âme qu’ils ne donnent et ne peuvent pas donner. Je lui fis mes humbles représentations. Il tint bon ; et, quelques jours après notre belle conversation, je lui décochai cette épître. Comme il me fallait une satisfaction du mal qu’il avait dit de mes stoïciens, je l’ai badiné sur quelques belles dames auxquelles il avait fait violemment tourner la tête. Les poëtes se permettent des exagérations, et ne s’en font aucun scrupule ; aussi l’ai-je dépeint courant de conquêtes en conquêtes, ce qui, au fond, n’est pas trop dans son caractère et dans la trempe de son âme. Ne direz-vous pas, mon cher ermite, que je suis un vieux fou de m’occuper, dans les circonstances où je me trouve, de choses aussi frivoles ? Mais j’endors ainsi mes soucis et mes peines. Je gagne quelques instants ; et ces

  1. Éditeur, Th. Foisset.
  2. À cette lettre était annexée copie de celle de Voltaire à M. de Brosses, en date du 20 octobre 1761.
  3. Cette pièce, intitulée Épître à Catt sur le tableau de la vie, fait partie des Œuvres posthumes de Frédéric II.