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barie. Voilà ma lettre finie ; je vais voir mes greniers et mes granges.

Je vous présente mon tendre respect, et je vous aime encore plus que mon blé et mon vin ; j’ai fait pourtant d’assez bon vin, et beaucoup. Je parie, madame, que vous ne vous en souciez guère ; voilà comme l’on est à Paris.


4313. — À M.  THIERIOT.
À Ferney, 27 octobre.

Je vous dis et redis, mon vieil ami, qu’il me faut des fréronades[1] où il est question de Tancrède ; il y a une bonne âme qui se charge d’en faire un assez plaisant usage.

Avez-vous des Pierre ? Avez-vous donné un Pierre à Protagoras ? Que faites-vous chez votre médecin[2] ? Quid novi de litteratis et maleficiatis ?

Que dites-vous de Clairon, qui voulait un échafaud sur le théâtre ? Mon ami, il faut battre les Anglais, et ne pas imiter leur barbare scène. Qu’on étudie leur philosophie ; qu’on foule aux pieds comme eux les infâmes préjugés ; qu’on chasse les jésuites[3] et les loups ; qu’on ne combatte sottement ni l’attraction, ni l’inoculation ; qu’on apprenne d’eux à cultiver la terre ; mais qu’on se garde bien d’imiter leur théâtre sauvage.

Vous verrez bientôt, à ce que j’espère, Tancrède dans son cadre. M.  et Mme  d’Argental m’ont bien servi ; ils m’ont fait corriger bien des fautes : voilà de vrais amis. Les comédiens m’ont tailladé assez mal à propos ; mais tout sera réparé à la reprise. Voyez cette reprise ; je suis le plus trompé du monde, ou Tancrède doit faire pleurer toutes les petites filles à chaudes larmes.

J’ai bien peur que l’état de M.  le duc de Bourgogne[4] ne soit fatal aux spectacles. Le roi perd bien des enfants ; il soutient de rudes épreuves de toutes façons. On ne le plaint point assez ; et quoiqu’on l’aime, on ne l’aime point assez. Allez, allez, messieurs les Parisiens, Dieu vous le conserve, et Mme  de Pompadour ! Elle n’a fait que du bien, et vous n’êtes que des ingrats. Vale, amice.

  1. Les articles de l’Année littéraire ; voyez tome V, page 493.
  2. Baron.
  3. La première attaque eut lieu contre eux le 17 avril 1761, dans un Discours de l’abbè de Chauvelin.
  4. Ce frère aîné de Louis XVI mourut le 22 mars 1761.