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très-grand service à la littérature et à la nation, en daignant examiner un ouvrage qui a pour but l’honneur de la France et de Corneille. Voilà la véritable sanction que je demande ; elle consiste à m’instruire. Il faut toujours avoir raison, et un particulier ne peut jamais s’en flatter. Je trouve toutes les notes sur mes observations très-judicieuses. Il n’en coûte qu’un mot dans vos assemblées ; et, sur ce mot, je me corrige sans difficulté et sans peine : c’est la seule façon de venir à bout de mon entreprise. Je remercie infiniment la compagnie, et je la conjure de continuer. Je lui envoie des choses un peu indigestes ; mais, sur ses avis, tout sera arrangé, soigné pour le fond et pour la forme ; et je ne ferai rien annoncer au public que quand j’aurai soumis au jugement de l’Académie les observations sur les principales pièces de Corneille. Plus cet ouvrage est attendu de tous les gens de lettres de l’Europe, plus je crois devoir me conduire avec précaution. Je ne prétends point avoir d’opinion à moi ; je dois être le secrétaire de ceux qui ont des lumières et du goût. Rien n’est plus capable de fixer notre langue, qui se parle à la vérité dans l’Europe, mais qui s’y corrompt. Le nom de Corneille et les bontés de l’Académie opéreront ce que je désire.

Quant aux honneurs qu’on rendait à ce grand homme[1], je sais bien qu’on battait des mains quelquefois quand il reparaissait après une absence ; mais on en a fait autant à Mlle  Camargo[2]. Je peux vous assurer que jamais il n’eut la considération qu’il devait avoir. J’ai vu, dans mon enfance, beaucoup de vieillards qui avaient vécu avec lui : mon père, dans sa jeunesse, avait fréquenté tous les gens de lettres de ce temps ; plusieurs venaient encore chez lui. Le bonhomme Marcassus[3], fils de l’auteur de l’Histoire grecque, avait été l’ami de Corneille. Il mourut chez mon père, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. Je me souviens de tout ce qu’il nous contait, comme si je l’avais entendu hier. Soyez sûr que Corneille fut négligé de tout le monde, dans les dernières vingt années de sa vie. Il me semble que j’entends encore ces bons vieillards Marcassus, Réminiac, Tauvières, Régnier, gens aujourd’hui très-inconnus, en parler avec indignation. Eh ! ne reconnaissez-vous pas là, messieurs, la nature humaine ? Le contraire serait un prodige.

  1. Voyez ci-après la lettre à l’abbé d’Olivet, n° 4666.
  2. Danseuse célèbre.
  3. Dont Voltaire parle tome XXIII, page 108, et qui était fils de Pierre de Marcassus, né en 1584, mort en 1664.