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vailler pour vous, car je compte que Corneille ne me coûtera pas plus de quatre à cinq mois ; disposez de tout le reste de mes moments. Nous ne tarissons point sur le compte de Votre Excellence, M.  de Soltikof et moi ; nous ne parlons de vous qu’avec enthousiasme. Le cardinal Passionei était le seul homme en Europe qui vous ressemblât : nous venons de le perdre[1]. Il ne reste que vous en Europe qui donniez aux arts une protection distinguée, constante, et éclairée ; et je vous regarde, après Pierre le Grand, comme l’homme qui fait le plus de bien à votre nation.

J’ai l’honneur d’être, etc.


4655. — À MADEMOISELLE CLAIRON.
27 auguste.

Je me hâte de vous répliquer, mademoiselle. Je m’intéresse autant que vous à l’honneur de votre art, et si quelque chose m’a fait haïr Paris et détester les fanatiques, c’est l’insolence de ceux qui veulent flétrir les talents. Lorsque le curé de Saint-Sulpice, Languet, le plus faux et le plus vain de tous les hommes, refusa la sépulture à Mlle  Lecouvreur[2], qui avait légué mille francs à son église, je dis à tous vos camarades assemblés qu’ils n’avaient qu’à déclarer qu’ils n’exerceraient plus leur profession jusqu’à ce qu’on eût traité les pensionnaires du roi comme les autres citoyens qui n’ont pas l’honneur d’appartenir au roi. Ils me le promirent, et n’en firent rien. Ils préférèrent l’opprobre avec un peu d’argent à un honneur qui leur eût valu davantage.

Ce pauvre Huerne[3] vous a porté un coup terrible en voulant vous servir ; mais il sera très-aisé aux premiers gentilshommes de la chambre de guérir cette blessure. Il y a une ordonnance du roi, de 1641, concernant la police des spectacles, par laquelle il est dit expressément : « Nous voulons que l’exercice des comédiens, qui peut divertir innocemment nos peuples (c’est-à-dire détourner nos peuples de diverses occupations mauvaises), ne puisse leur être imputé à blâme, ni préjudicier à leur réputation dans le commerce public. »

Et, dans un autre endroit de la déclaration, il est dit que, s’ils choquent les bonnes mœurs sur le théâtre, ils seront notés d’infamie.

  1. Voyez tome XXXVI, page 421.
  2. Voyez tome XXII, page 69 ; et, tome IX, la pièce intitulée la Mort de Mlle  Lecouvreur.
  3. Voyez la note, tome XXIV, page 239.