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4652. — À M. JACOB VERNES,
pasteur à séligny.
Ferney, 25 auguste 1761.

Je suis très-fâché, monsieur, que vous soyez si éloigné de moi. Vous devriez bien venir coucher à Ferney, quand vous ne prêchez pas ; il ne faut pas être toujours avec son troupeau ; on peut venir voir quelquefois les bergers du voisinage.

Je n’ai point lu l’Ame de M. Charles Bonnet[1] ; il faut qu’il y ait une furieuse tête sous ce bonnet-là, si l’ouvrage est aussi bon que vous le dites. Je serai fort aise qu’il ait trouvé quelques nouveaux mémoires sur l’âme : le troisième chant de Lucrèce me paraissait avoir tout épuisé. Je n’ai pas trop actuellement le temps de lire des livres nouveaux.

À l’égard de messieurs les traducteurs anglais, ils se pressent trop. Ils voulaient commencer par l’Histoire générale ; on leur a mandé de n’en rien faire, attendu que Gabriel Cramer et Philibert Cramer vont en donner une nouvelle édition un peu plus curieuse que la première. On n’avait donné que quelques soufflets au genre humain, dans ces archives de nos sottises ; nous y ajouterons force coups de pied dans le derrière : il faut finir par dire la vérité dans toute son étendue. Si vous veniez chez moi, je vous ferais voir un petit manuscrit indien[2] de trois mille ans qui vous rendrait très-ébahi[3].

Je vous embrasse en Deo solo.

  1. Essai analytique sur les facultés de l’âme. (K.)
  2. C’est celui dont il est question dans la note de M. Reinaud, tome XXVI, page 392.
  3. Les éditeurs de Kehl et Beuchot donnent ici un fragment qui n’est pas dans l’original, communiqué à M. H. Beaune par M. Théodore Vernes, petit-fils du correspondant de Voltaire. Voici ce fragment :

    « Venez voir mon église ; elle n’est pas encore bénite, et on ne sait encore si elle est calviniste ou papiste. En attendant, j’ai mis sur le frontispice : Deo soli*. Voyez si vos damnés de camarades ne devraient pas avoir plus de tendresse pour moi qu’ils n’en ont. Votre plaisant Arabe** m’a abandonné tout net, depuis qu’il est de la barbare compagnie : il suffit d’entrer là pour avoir l’âme coriace. Ne vous avisez jamais d’endurcir votre joli petit caractère quand vous serez de la vénérable.

    « Mes compliments à Mme de Wolmar, et à son faux germe***. »

    *. Dans sa lettre à d’Argental du 14 septembre, Voltaire donne autrement cette inscription.

    **. Probablement Abauzit.

    ***. Nouvelle Héloïse, première partie, lettre lxiii.