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4643. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
À Ferney, 18 auguste.

J’ai connu des gens, madame, qui se plaignaient de vivre avec des sots, et vous vous plaignez de vivre avec des gens d’esprit. Si vous avez imaginé que vous retrouveriez la politesse et les agréments des La Fare et des Saint-Aulaire, l’imagination des Chaulieu, le brillant d’un duc de La Feuillade, et tout le mérite du président Hénault, dans nos littérateurs d’aujourd’hui, je vous conseille de décompter.

Vous ne sauriez, dites-vous, vous intéresser à la chose publique. C’est assurément le meilleur parti qu’on puisse prendre ; mais si vous étiez comme moi exposée à donner à dîner tous les jours à des Russes, à des Anglais, à des Allemands, vous seriez un peu embarrassée d’être Française.

Je m’occupe du temps passé pour me dépiquer du temps présent. Je crois qu’il vaut mieux commenter Corneille que de lire ce qu’on fait aujourd’hui. Toutes les nouvelles affligent, et presque tous les nouveaux livres impatientent.

Mon Commentaire impatientera aussi, car il sera fort long. C’est une entreprise terrible que de discuter Cinna et Agésilas, Rodogune et Attila, le Cid et Pertharite. Je ne crois pas que, depuis Scaliger, il y ait eu un plus grand pédant que moi. L’ouvrage contiendra sept ou huit gros volumes ; cela fait trembler.

Vous devez, madame, avoir actuellement M. le président Hénault : il faut que vous me protégiez auprès de lui. J’ai envoyé à l’Académie l’épître dédicatoire, que je crois curieuse ; la préface sur le Cid, dans laquelle il y a aussi quelques anecdotes qui pourront vous amuser ; les notes sur le Cid, sur les Horaces, sur Cinna, Pompée, Hèraclius, Rodogune, qui ne vous amuseront point, parce qu’il faut avoir le texte sous les yeux.

Je voudrais bien que M. le président Hénault prît tout cela chez monsieur le secrétaire, et qu’il en dit son avis avec M. de Nivernais. Je crois qu’il conviendrait qu’ils allassent tous deux à l’Académie, et qu’ils me jugeassent : car il me faut la sanction de la compagnie, et que l’ouvrage, qui lui est dédié, ne se fasse que de concert avec elle. Je ne suis point du tout jaloux de mes opinions ; mais je le suis de pouvoir être utile, et je ne peux l’être qu’avec l’approbation de l’Académie. C’est une négociation