Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/404

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ô mes anges ! je vous prédis que Zulime fera pleurer aussi, malgré ce grand benêt de Ramire à qui, je voudrais donner des nasardes.

Il faut que ce soit Fréron qui ait conservé ce vers :


J’abjure un lâche amour qui me tient sous sa loi.


Mme Denis a toujours récité :

J’abjure un lâche amour qui vous ravit ma foi.

(Acte V, scène iii.)

Pierre, que vous autres Français nommez le Cruels[1] d’après les Italiens, n’était pas plus cruel qu’un autre. On lui donna ce sobriquet pour avoir fait pendre quelques prêtres qui le méritaient bien ; on l’accusa ensuite d’avoir empoisonné sa femme, qui était une grande catin. C’était un jeune bomme fier, courageux, violent, passionné, actif, laborieux, un homme tel qu’il en faut au théâtre. Donnez-vous du temps, mes anges, pour cette pièce ; faites-moi vivre encore deux ans, et vous l’aurez.

Je vous remercie de tout mon cœur du Cid. Les comédiens sont des balourds de commencer la pièce par la querelle du comte et de don Diègue ; ils méritent le soufflet qu’on donne au vieux bonhomme, et il faut que ce soit à tour de bras. Comment ont-ils pu retrancher la première scène de Chimène et d’Elvire[2], sans laquelle il est impossible qu’on s’intéresse à un amour dont on n’aura point entendu parler ?

Vous parlez quelquefois de fondements, mes anges, et même, permettez-moi de vous le dire, de fondements dont on peut très-bien se passer, et qui servent plus à refroidir qu’à préparer ; mais qu’y a-t-il de plus nécessaire que de préparer les regrets et les larmes par l’exposition du plus tendre amour et des plus douces espérances, qui sont détruites tout d’un coup par cette querelle des deux pères ?

Je viens aux souscriptions. Je reçois, dans ce moment, un billet d’un conseiller du roi, contrôleur des rentes, ainsi couché par écrit :

« Je retiens deux exemplaires, et payerai le prix qui sera fixé. Signé Bazard ; 8 d’auguste 1761. »

  1. Voyez tome VII, page 252 ; et XII, 29.
  2. Voyez tome XXXI, pages 214 et 216.