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Je voudrais bien vous envoyer une partie de mon Commentaire ; mais tout cela est sur de petits papiers comme les feuilles de la sibylle ; et d’ailleurs rien n’est en vérité moins amusant.

Respects à tous anges.

Le malheur est sur les yeux ; les miens sont affligés aussi, mais je songe aux vôtres.


4619. — À MADEMOISELLE FEL[1].
Au château de Ferney, par Genève, 29 juillet.

Il me semble, mademoiselle, que je vous dois des remerciements, toutes les années, d’avoir bien voulu venir dans ma petite retraite ; mais il faut que je vous remercie d’une autre sorte de plaisir que vous m’avez fait, et que vous ne savez peut-être pas.

Vous me dites aux Délices qu’il y avait à Paris un homme plein d’esprit et de générosité, dont le plus grand plaisir était celui d’obliger, et que c’était M.  de La Borde[2]. Je m’en suis souvenu, quand il a été question d’imprimer un Corneille avec des commentaires, et d’en faire une édition magnifique, au profit de la famille infortunée de ce grand homme. J’ai répété mot pour mot à M.  de La Borde, très-indiscrètement, tout ce que vous m’aviez dit de lui. Je vous assure qu’il n’a pas démenti vos éloges : il favorise cette entreprise avec tout le zèle d’un excellent citoyen, et il m’a écrit une lettre qui fait bien voir qu’il a autant d’esprit que de noblesse d’âme. Je suis si pénétré de tout ce qu’il daigne faire que je ne puis m’en taire avec vous.

Vous qui avez des talents si supérieurs, mademoiselle, vous sentez bien mieux que personne combien il sera beau à notre nation de protéger les talents du grand Corneille cent ans après sa mort, et vous devez être flattée que ce soit votre ami, M.  de La Borde, qui ait fait les premières démarches. Pardonnez donc à mon enthousiasme, et comptez que nous en avons toujours beaucoup pour vous au pied des Alpes, Mme  Denis et moi.

Recevez, avec votre bonté ordinaire, les sentiments respectueux du vieux

Voltaire,
  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Banquier de la cour.