Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/385

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mise en état d’orner longtemps la scène française, à laquelle vous êtes si nécessaire. Quand on pousse l’art aussi loin que vous, il devient respectable, même à ceux qui ont la grossièreté barbare de le condamner. Je ne prononce pas votre nom, je ne lis pas un morceau de Corneille ou une pièce de Racine, sans une véhémente indignation contre les fripons et contre les fanatiques qui ont l’insolence de proscrire un art qu’ils devraient du moins étudier, pour mériter, s’il se peut, d’être entendus quand ils osent parler. Il y a tantôt soixante ans que cette infâme superstition me met en colère. Ces animaux-là entendent bien peu leurs intérêts de révolter contre eux ceux qui savent penser, parler et écrire, et de les mettre dans la nécessité de les traiter comme les derniers des hommes. L’odieuse contradiction de nos Français, chez qui on flétrit ce qu’on admire, doit vous déplaire autant qu’à moi et vous donner de violents dégoûts. Plut à Dieu que vous fussiez assez riche pour quitter le théâtre de Paris et jouer chez vous avec vos amis, comme nous faisons dans un coin du monde, où nous nous moquons terriblement des sottises et des sots !

J’ai bien résolu de n’en pas sortir. Mon unique souhait est que Tronchin soit le seul homme au monde qui puisse vous guérir, et que vous soyez forcée de venir chez nous.

Adieu, mademoiselle ; soyez aussi heureuse que vous méritez de l’être ; croyez que je vous admire autant que je méprise les ennemis de la raison et des arts, et que je vous aime autant que je les déteste. Conservez-moi vos bontés ; je sens tout ce que vous valez : c’est beaucoup dire.


4618. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
28 juillet.

Les divins anges sauront que je reçus avant-hier leur dernière lettre, datée de je ne sais plus quand. J’étais aux Délices ; je les ai cédées à M.  le duc de Villars, qui s’y établit avec tout son train. J’ai laissé la lettre de mes anges aux Délices ; mais je me souviens des principaux articles. Il était question vraiment de quelues vers, qu’ils aiment mieux comme ils étaient autrefois dans l’ancienne Zulime. Mes anges ont raison.

Je me jette à leurs pieds pour que Zulime se tue : car il ne faut pas que tragédie finisse comme comédie, et, autant qu’on peut, il faut laisser le poignard dans le cœur des assistants. Si vous goûtez cette nouvelle façon de se tuer que je vous envoie,