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Je suis avec un respect infini pour votre personne et pour vos grandes actions, monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire,
gentilhomme ordinaire de la chambre du roi.

4614. — À M.  DAMILAVILLE.
20 juillet.

Il y a plaisir à donner des Oreste aux frères : les frères sont toujours indulgents. Je ne sais plus comment la nation est faite : elle soutire une Électre[1] de quarante ans qui ne fait point l’amour et qui remplit son caractère ; elle ne siffle pas une pièce où il n’y a point de partie carrée : il s’est donc fait dans les esprits un prodigieux changement !

Frère V… a bien mal aux yeux ; mais il les a perdus avec Corneille, et cela console. Il a été obligé de travailler sur une petite édition en pieds de mouche. Heureusement, l’en voilà quitte. Il a commenté Phédre, le Cid, Cinna, Pompée, Horace, Polyeucte, Rodogune, Héraclius. Il reste peu de chose à faire, car ni les comédies, ni les Agésilas, ni les Attila, ni les Suréna, etc., ne méritent l’honneur du commentaire.

S’il avait des yeux, il pleurerait nos désastres, qui se multiplient cruellement tous les jours. Il demande si l’on se réjouit encore à Paris, si on ose aller au spectacle. Il croit ce temps-ci bien peu favorable pour le Droit du Seigneur ou pour l’Écueil du Sage. Il a écrit au jeune auteur, lequel est tout abasourdi de la prise de Pondichéry[2], qui lui coûte juste le quart de son bien. Il n’a pas envie de rire. Je n’ai pu tirer de lui que ces petites bagatelles qu’il m’envoie, et que je fais tenir aux frères.

Je lui ai fait part de la juste douleur de la demoiselle Dangeville, qui ne joue pas le premier rôle. Il y a paru très-sensible : mais il ne peut qu’y faire. Mlle  Dangeville embellit tout ce qui lui passe par les mains. En un mot, voilà tout ce que je peux tirer de mon petit Dijonnais[3]. Il est très-fâché ; il dit qu’il veut faire une tragédie : le premier acte sera Rosbach, le dernier Pondichéry, et des vessies de cochon pour intermède. Celui qui écrit[4] en rit,

  1. Voyez page 388.
  2. Cette prise est du 15 janvier.
  3. Il donnait le Droit du Seigneur comme l’ouvrage d’un académicien de Dijon ; voyez tome VI, page 3.
  4. Wagnière, secrétaire de Voltaire.