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4580. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
21 juin.

Mes divins anges, lisez mes remontrances avec attention et bénignité.

Considérez d’abord que le plan d’un cerveau n’a pas six pouces de large, et que j’ai pour cent toises au moins de tribulations et de travaux. Le loisir fut certainement le père des Muses ; les affaires en sont les ennemies, et l’embarras les tue. On peut bien à la vérité faire une tragédie, une comédie, ou deux ou trois chants d’un poëme, dans une semaine d’hiver ; mais vous m’avouerez que cela est impossible dans le temps de la fenaison et des moissons, des défrichements et des dessèchements ; et quand à ces travaux de campagne il se joint des procès, le tripot de Thémis l’emporte sur celui de Melpomène. Je vous ai caché une partie de mes douleurs ; mais enfin il faut que vous sachiez que j’ai la guerre contre le clergé. Je bâtis une église assez jolie, dont le frontispice est d’une pierre aussi chère que le marbre ; je fonde une école, et, pour prix de mes bienfaits, un curé d’un village voisin, qui se dit promoteur, et un autre curé qui se dit official, m’ont intenté un procès criminel[1] pour un pied et demi de cimetière, et pour deux côtelettes de mouton qu’on a prises pour des os de morts déterrés.

On m’a voulu excommunier pour avoir voulu déranger une croix de bois, et pour avoir abattu insolemment une partie d’une grange qu’on appelait paroisse.

Comme j’aime passionnément à être le maître, j’ai jeté par terre toute l’église, pour répondre aux plaintes d’en avoir abattu la moitié. J’ai pris les cloches, l’autel, les confessionnaux, les fonts baptismaux ; j’ai envoyé mes paroissiens entendre la messe à une lieue.

Le lieutenant criminel, le procureur du roi, sont venus instrumenter ; j’ai envoyé promener tout le monde ; je leur ai signifié qu’ils étaient des ânes, comme de fait ils le sont. J’avais pris des mesures de façon que monsieur le procureur général du parlement de Dijon leur a confirmé cette vérité. Je suis à présent sur le point d’avoir l’honneur d’appeler comme d’abus, et ce ne sera pas maître Le Dain[2] qui sera mon avocat. Je crois que je ferai

  1. Voyez une note de la lettre 4566.
  2. Voyez la note, tome XXIV, page 239.