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que votre livre : vous aviez imprimé que je vous faisais bâiller[1], et moi j’ai laissé imprimer que je me mettais à rire. Il résulte de tout cela que vous êtes difficile à amuser, et que je suis mauvais plaisant ; mais enfin, en bâillant et en riant, vous voilà mon confrère, et il faut tout oublier en bons chrétiens et en bons académiciens.

Je suis fort content, monsieur, de votre harangue, et très-reconnaissant de la bonté que vous avez de me l’envoyer ; à l’égard de votre lettre,


Nardi parvus onyx eliciet cadum.

(Hor., lib. IV, od. xii, v. 17.)


Pardon de vous citer Horace, que vos héros, MM. de Fontenelle et de Lamotte[2], ne citaient guère. Je suis obligé, en conscience, de vous dire que je ne suis pas né plus malin que vous, et que, dans le fond, je suis bon homme. Il est vrai qu’ayant fait réflexion, depuis quelques années, qu’on ne gagnait rien à l’être, je me suis mis à être un peu gai, parce qu’on m’a dit que cela est bon pour la santé. D’ailleurs je ne me suis pas cru assez important, assez considérable, pour dédaigner toujours certains illustres ennemis qui m’ont attaqué personnellement pendant une quarantaine d’années, et qui, les uns après les autres, ont essayé de m’accabler, comme si je leur avais disputé un évêché ou une place de fermier général. C’est donc par pure modestie que je leur ai donné enfin sur les doigts. Je me suis cru précisément à leur niveau ; et in arenam cum æqualibus descendi, comme dit Cicéron.

Croyez, monsieur, que je fais une grande différence entre vous et eux ; mais je me souviens que mes rivaux et moi, quand j’étais à Paris, nous étions tous fort peu de chose, de pauvres écoliers du siècle de Louis XIV, les uns en vers, les autres en prose, quelques-uns moitié prose, moitié vers, du nombre des-

  1. Dans son morceau De la Poésie et des Poëtes, au tome IV de, ses Essais de littérature, l’abbé Trublet avait imprimé : « On a osé dire de la Henriade, et on l’a dit sans malignité :

    Je ne sais pas pourquoi je bâille en la lisant.

    … Ce n’est point le poëte qui ennuie et fait bâiller dans la Henriade, c’est la poésie, ou plutôt les vers, »

  2. L’abbé Trubblet a donné des Mémoires pour servir à l’histoire de la vie et des ouvrages de Fontenelle, 1759, in-12, 1761, in-12. On avait imprimé à la suite l’Article de M. de Lamotte, par M. l’abbé Goujet, revu et augmenté par M. L’abbé Trublet, et tiré du Dictionnaire de Moréri, édition de Paris, 1759.