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vernement, notre société, vous trouverez que mon compte est juste. Je date depuis le moment où Louis XIV prit en main les rênes ; et je demande au plus acharné frondeur, au plus triste panégyriste des temps passés, s’il osera comparer les temps où nous vivons à celui où l’archevêque de Paris[1] portait au parlement un poignard dans sa poche. Aimera-t-il mieux le siècle précédent, où l’on tuait le premier ministre[2] à coups de pistolet dans la cour du Louvre, et où l’on condamnait sa femme[3] à être brûlée comme sorcière ? Dix ou douze années du grand Henri IV paraissent heureuses, après quarante ans d’abominations et d’horreurs qui font dresser les cheveux ; mais, pendant ce peu d’années que le meilleur des princes employait à guérir nos blessures, elles saignaient encore de tous côtés : le poison de la Ligue infectait encore les esprits ; les familles étaient divisées ; les mœurs étaient dures ; le fanatisme régnait partout, hormis à la cour. Le commerce commençait à naître, mais on n’en goûtait pas encore les avantages ; la société était sans agréments ; les villes, sans police ; toutes les consolations de la vie manquaient en général aux hommes. Et, pour comble de malheur, Henri IV était haï. Ce grand homme disait au duc de Sully : « Ils ne me connaissent pas ; ils me regretteront, »

Remontez à travers cent mille assassinats commis au nom de Dieu sur les débris de nos villes en cendres jusqu’au temps de François Ier, vous voyez l’Italie teinte de notre sang, un roi prisonnier dans Madrid, les ennemis au milieu de nos provinces.

Le nom de Père du peuple est resté à Louis XII ; mais ce père eut des enfants bien malheureux, et le fut lui-même : chassé de l’Italie, dupé par le pape, vaincu par Henri VIII, obligé de donner de l’argent à son vainqueur pour épouser sa sœur[4] il fut bon roi d’un peuple grossier, pauvre, et privé d’arts et de manufactures. Sa capitale n’était qu’un amas de maisons de bois, de paille, et de plâtre, presque toutes couvertes de chaume. Il vaut mieux, sans doute, vivre sous un bon roi d’un peuple éclairé et opulent, quoique malin et raisonneur.

Plus vous vous enfoncez dans les siècles précédents, plus vous trouvez tout sauvage ; et c’est ce qui rend notre histoire de France

  1. Le cardinal de Retz ; il n’était encore que coadjuteur ; voyez tome XIV, page 191.
  2. Le maréchal d’Ancre ; voyez tome XII, page 576.
  3. Voyez ibid., page 577.
  4. Marie d’Angleterre ; voyez tome XII, page 202.