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un peu versé dans notre histoire qui puisse assigner un temps plus heureux, depuis Clovis, que le temps qui s’est écoulé depuis que Louis XIV commença à régner par lui-même jusqu’au moment où j’ai l’honneur de vous parler ? Je défie l’homme de la plus mauvaise humeur de me dire quel siècle il voudrait préférer au nôtre.

Il faut être juste : il faut convenir, par exemple, qu’un géomètre de vingt-quatre ans en sait beaucoup plus que Descartes, qu’un vicaire de paroisse prêche plus raisonnablement que le grand aumônier de Louis XII. La nation est plus instruite, le style en général est meilleur : par conséquent les esprits sont mieux faits aujourd’hui qu’ils ne l’étaient autrefois.

Vous me direz que nous sommes à présent dans la décadence du siècle, et qu’il y a beaucoup moins de génie et de talents que dans les beaux jours de Louis XIV : oui, le génie baisse et baissera nécessairement ; mais les lumières sont multipliées : mille peintres du temps de Salvator Rosa ne valaient pas Raphaël et Michel-Ange ; mais ces mille peintres médiocres, que Raphaël et Michel-Ange avaient formés, composaient une école infiniment supérieure à celle que ces deux grands hommes trouvèrent établie de leur temps. Nous n’avons à présent, sur la fin de notre beau siècle, ni de Massillon, ni de Bourdaloue, ni de Bossuet, ni de Fénelon ; mais le plus ennuyeux de nos prédicateurs d’aujourd’hui est un Démosthène en comparaison de tous ceux qui ont prêché depuis saint Rémi jusqu’au frère Garasse.

Il y a plus de distance de la moindre de nos tragédies aux pièces de Jodelle, que de l’Athalie de Racine aux Machabées de Lamotte et au Moïse de l’abbé Nadal. En un mot, dans tous les arts de l’esprit, nos artistes valent bien moins qu’au commencement du grand siècle et dans ses beaux jours ; mais la nation vaut mieux. Nous sommes inondés, à la vérité, de pitoyables brochures, et les miennes se mêlent à la foule : c’est une multitude prodigieuse de moucherons et de chenilles qui prouvent l’abondance des fruits et des fleurs ; vous ne voyez pas de ces insectes dans une terre stérile ; et remarquez que, dans cette foule immense de ces petits écrits, tous effacés les uns par les autres, et tous précipités au bout de quelques jours dans un oubli éternel, il y a quelquefois plus de goût et de finesse que vous n’en trouveriez dans tous les livres écrits avant les Lettres provinciales.

Voilà l’état de nos richesses de l’esprit comparées à une indigence de plus de, douze cents années.

Si vous examinez à présent nos mœurs, nos lois, notre gou-