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disciple qui tâche de lutter contre le maître. Je vous en montrerais vingt exemples, si je ne craignais d’être long.

Massillon et Cheminais savaient Racine par cœur, et déguisaient les vers de ce divin poëte dans leur prose pieuse. C’est ainsi que plusieurs prédicateurs venaient apprendre chez Baron l’art de la déclamation, et rectifiaient ensuite le geste du comédien par le geste de l’orateur sacré. Rien ne prouve mieux que tous les arts sont frères, quoique les artistes soient bien loin de l’être.

Le malheur des sermons, c’est que ce sont des déclamations dans lesquelles on dit trop souvent le pour et le contre. Le même homme qui, dimanche dernier, assurait qu’il n’y a point de félicité dans la grandeur ; que les couronnes sont des épines ; que les cours ne renferment que d’illustres malheureux ; que la joie n’est répandue que sur le front du pauvre, prêche, le dimanche suivant, que le peuple est condamné à l’affliction et aux larmes, et que les grands de la terre sont plongés dans des délices dangereuses.

Ils disent, dans l’avent, que Dieu est sans cesse occupé du soin de fournir à tous nos besoins ; et, en carême, que la terre est maudite. Ces lieux communs les mènent jusqu’au bout de l’année par des phrases fleuries et ennuyeuses.

Les prédicateurs, en Angleterre, ont pris un autre tour qui ne nous conviendrait guère. Le livre de la métaphysique la plus profonde est le recueil des sermons de Clarke. On dirait qu’il n’a prêché que pour les philosophes. Encore ces philosophes auraient pu lui demander à chaque période un long éclaircissement ; et le Français à Londres, à qui on ne prouve rien[1], aurait bientôt laissé là le prédicateur. Son recueil fait un excellent livre, que très-peu de gens sont capables d’entendre. Quelle différence entre les temps et entre les nations ! et qu’il y a loin de frère Garasse et de frère André aux Clarke et aux Massillon !

Dans l’étude que j’ai faite de l’histoire, j’en ai toujours tiré ce fruit que le temps où nous vivons est de tous les temps le plus éclairé, malgré nos très-mauvais livres, et malgré la foule de tant d’insipides journaux ; comme il est le plus heureux, malgré nos calamités passagères. Car quel est l’homme de lettres qui ne sache que le bon goût n’a été le partage de la France qu’à commencer au temps de Cinna et des Provinciales ? Et quel est l’homme

  1. « Non, monsieur, on ne me démontre rien ; on ne me persuade pas même. » (Le Français à Londres, par Boissy, scène xvi.)