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les premiers qui mirent quelque raison dans leurs discours, parce qu’on est obligé de raisonner quand on veut changer les idées des hommes. Cette raison était encore bien loin de l’éloquence. La chaire, le barreau, le théâtre, la philosophie, la littérature, la théologie, tout chez nous fut, à quelques exceptions près, fort au-dessous des pièces qu’on joue aujourd’hui à la Foire.

Le bon goût en tout genre n’établit son empire que dans le siècle de Louis XIV : c’est là ce qui me détermina, il y a longtemps, à donner une légère esquisse de ce temps glorieux ; et vous avez remarqué que, dans cette histoire, c’est le siècle qui est mon héros encore plus que Louis XIV lui-même, quelque respect et quelque reconnaissance que nous devions à sa mémoire.

Il est vrai qu’en général nos voisins ne valaient guère mieux que nous. Comment s’est-il pu faire que l’on prêchât toujours, et que l’on prêchât si mal ? Comment les Italiens, qui s’étaient tirés depuis si longtemps de la barbarie en tant de genres, n’étaient-ils pour la plupart, dans la chaire, que des Arlequins en surplis ; tandis que la Jérusalem du Tasse égalait l’Iliade, que l’Orlando furioso surpassait l’Odyssée, que le Pastor fido n’avait point de modèle dans l’antiquité, et que les Raphaël et les Paul Véronèse exécutaient réellement ce qu’on imagine des Zeuxis et des Apelle ?

Il n’est pas douteux, monsieur le duc, que vous n’ayez lu le concile de Trente ; il n’y a point de duc et pair, à ce que je pense, qui n’en lise quelques sessions tous les matins. Avez-vous remarqué le sermon de l’ouverture de ce concile par l’évêque de Bitonto ?

Il prouve, premièrement, que le concile est nécessaire parce que plusieurs conciles ont déposé des rois et des empereurs ; secondement, parce que, dans l’Énéide, Jupiter assemble le concile des dieux ; troisièmement, parce qu’à la création de l’homme et à l’aventure de la tour de Babel Dieu s’y prit en forme de concile. Il assure ensuite que tous les prélats doivent se rendre à Trente, comme dans le cheval de Troie : enfin, que la porte du paradis et du concile est la même ; que l’eau vive en découle, et que les Pères doivent en arroser leur cœur comme des terres sèches : faute de quoi, le Saint-Esprit leur ouvrira la bouche comme à Balaam et à Caïphe.

Voilà ce qui fut prêché devant les états généraux de la chrétienté. Quel préjugé divin en faveur d’un concile ! Le sermon de saint Antoine de Padoue aux poissons est encore plus fameux en Italie que celui de M. de Bitonto. On pourrait donc excuser notre frère André et notre frère Garasse, et tous nos Gilles de la chaire