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Je regrette surtout les papiers dont vous aviez chargé M.  Pouschkin. Je vois par votre lettre, monsieur, que vous lui aviez confié un présent dont je sens tout le prix, et dont je fais les plus tendres remerciements à Votre Excellence. Elle est trop bonne ; mes frais sont trop peu de chose, mes peines trop bien employées. Un simple portrait de votre auguste impératrice, un de vous, monsieur, aurait fait ma récompense la plus chère. Il n’est pas juste qu’il vous en coûte, et que vous payiez les accidents qui peuvent être arrivés à M.  Pouschkin et à mes ballots. Vous ne savez donc pas que je regarde comme un des plus grands bienfaits le soin dont vous avez daigné me charger ; il fait le charme et l’honneur de ma vieillesse. Recevez avec votre bonté ordinaire le tendre et inviolable respect de Voltaire pour Votre Excellence. V.


4506. — AU RÉVÉREND PÈRE BETTINELLI[1],
à vérone.
Mars.

Si j’étais moins vieux, et si j’avais pu me contraindre, j’aurais certainement vu Rome, Venise, et votre Vérone ; mais la liberté suisse et anglaise, qui a toujours fait ma passion, ne me permet guère d’aller dans votre pays voir les frères inquisiteurs, à moins que je n’y sois le plus fort. Et comme il n’y a pas d’apparence que je sois jamais ni général d’armée ni ambassadeur, vous trouverez bon que je n’aille point dans un pays où l’on saisit, aux portes des villes, les livres qu’un pauvre voyageur a dans sa valise. Je ne suis point du tout curieux de demander à un dominicain permission de parler, dépenser, et de lire ; et je vous dirai ingénument que ce lâche esclavage de l’Italie me fait horreur. Je crois la basilique de Saint-Pierre de Rome fort belle ; mais j’aime mieux un bon livre anglais, écrit librement, que cent mille colonnes de marbre. Je ne sais pas de quelle liberté vous me parlez auprès de Monte-Baldo, mais j’aime beaucoup celle dont parle Horace : Fari quæ sentiat[2] ; je ne connais de liberté que celle dont on jouit à Londres. C’est celle où je suis parvenu,

  1. Xavier Bettinelli, né à Mantoue en juillet 1718, n’était pas frère servite, comme quelques personnes l’ont pensé, mais jésuite. Il finit sa longue et laborieuse carrière dans sa ville natale, le 13 septembre 1808. Parmi ses tragédies il s’en trouve une qui est traduite de Voltaire, c’est Rome sauvée. — On lit dans les Mélanges de littérature de Suard, tome I, pages 17 à 32 (1803), un article intitulé De Voltaire et du poète italien Bettinelli. (Cl.)
  2. Horace, livre I, épître iv, vers 9.