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sottises ; mais attendons le moment de l’inspiration pour travailler. Je suis à présent dans les horreurs de l’Histoire générale qu’on réimprime ; mais que de changements ! le tableau n’était qu’en miniature ; il est grand. Mes anges verront le genre humain dans toute sa turpitude, dans toute sa démence. Omer frémira ; je m’en moque : Omer n’aura jamais ni un aussi joli château que moi, ni de si agréables jardins. Vous saurez que j’ai fait des jardins qui sont comme la tragédie que j’ai en tête ; ils ne ressemblent à rien du tout. Des vignes en festons, à perte de vue ; quatre jardins champêtres, aux quatre points cardinaux ; la maison au milieu ; presque rien de régulier. Dieu merci ! ma tragédie sera plus régulière, mais aussi neuve. Laissez-moi faire ; plus je vieillis, plus je suis hardi. Mes chers anges, soyez aussi hardis ; faites jouer Oreste ; faites une brigue, je vous en prie ; qu’on entende les cris de Clytemnestre, que Clairon et Dumesnil joutent, que Lekain fasse frissonner : les comédiens me doivent cette complaisance. Vous m’allez dire : Fanime, Fanime ; eh bien ! il est vrai que Fanime, Énide, et le père, sont d’assez beaux rôles ; mais l’amant est benêt, soyez-en sûrs. Il faut que je donne une meilleure éducation à ce fat ; il faut du temps. J’ai l’Histoire générale et une demi-lieue de pays à défricher, et des marais à dessécher, et un curé à mettre aux galères : tout cela prend quelques heures d’un pauvre malade.

Voici une Èpître sur l’Agriculture dont vous ne vous soucierez point ; vous n’aimez pas la chose rustique, et j’en suis fou. J’aime mes bœufs, je les caresse, ils me font des mines. Je me suis fait faire une paire de sabots ; mais si vous faites jouer Oreste, je les troquerai contre deux cothurnes, sous l’ombrage de vos ailes.

Et vos yeux ? parlez-moi donc de vos yeux.


4491. — À M.  D’ALEMBERT.
À Ferney, 19 mars.

Mon très-digne et ferme philosophe, vrai savant, vrai bel esprit, homme nécessaire au siècle, voyez, je vous prie, dans mon Èpître à Mme  Denis[1], une partie de mes réponses à votre énergique lettre.

Mon cher archidiacre et archi-ennuyeux Trublet est donc de l’Académie ! Il compilera un beau discours de phrases de La-

  1. Sur l’Agriculture ; voyez tome X.