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intrigue, sans évènements, sans génie, sans intérêt ; apparemment que l’auteur du journal n’a publié dans son journal un extrait contre sa propre pensée que pour mieux se donner le droit de faire sentir toute l’impertinence de ce roman.

On fait mille compliments à M.  R., et on lui est très-dévoué. On le remercie du petit imprimé, il n’était pas assurément fait pour souiller le Journal encyclopédique ; cela n’est bon que pour Fréron.



4487. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
À Ferney, 10 mars.

Pour Dieu, madame, envoyez-moi le portrait de Mme  de Pompadour ; j’aimerais mieux avoir le vôtre, mais vous ne voulez pas vous faire peindre ; il faut faire quelque chose pour ses amis, madame. Si vous n’avez pas de copiste à Strasbourg, osez me confier l’original. J’ai de la probité, je suis exact, je ne le garderai pas quinze jours. Faites-moi cette petite faveur, je vous en conjure.

Où est actuellement monsieur votre fils ? Je plains ses chevaux, quelque part qu’il soit, car je crois les retraites promptes et les fourrages rares. Il est plaisant d’avoir dépensé cinq ou six cents millions pour quelques voyages dans la Hesse en quatre ans. On aurait fait le tour du monde à meilleur marché. Je n’ai d’autre nouvelle dans mon enceinte de montagnes, sinon qu’on ne me paye point ; mais je plains beaucoup plus ceux qu’on égorge que ceux qu’on ruine.

Avez-vous actuellement, madame, auprès de vous votre fidèle compagne[1] ? Vous portez-vous bien ? Êtes-vous contente ? Je rencontrai hier dans mon chemin un borgne, et je me réjouis d’avoir encore deux yeux. Je rencontrai ensuite un homme qui n’avait qu’une jambe, et je me félicitai d’en avoir deux, toutes mauvaises qu’elles sont. Quand on a passé un certain âge, il n’y a guère que cette façon-là d’être heureux : cela n’est pas bien brillant, mais c’est toujours une petite consolation. Un beau soleil est encore un grand plaisir ; mais il me semble que vous n’avez jamais chaud sur vos bords du Rhin. N’avez-vous pas fait embellir et peigner votre jardin ? Autre ressource qui n’est pas à négliger. Je vous avertis, madame, que j’ai fait les plus beaux potagers du royaume ; vous ne vous en souciez guère, Puissiez-vous avoir le

  1. Mme  de Brumath.