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Je n’avais point d’idée du bonheur réservé à la vieillesse dans la retraite. Après avoir bien réfléchi à soixante ans de sottises que j’ai vues et que j’ai faites, j’ai cru m’apercevoir que le monde n’est que le théâtre d’une petite guerre continuelle, ou cruelle, ou ridicule, et un ramas de vanité à faire mal au cœur, comme le dit très-bien le bon déiste de Juif qui a pris le nom de Salomon dans l’Écclésiaste[1], que vous ne lisez pas.

Adieu, madame ; consolez-vous de votre existence, et poussez-la cependant aussi loin que vous pourrez. J’ai trouvé, dans le roman de Jean-Jacques, une lettre[2] sur le suicide, que j’ai trouvée excellente, quoique ridiculement placée ; elle ne m’a pourtant donné aucune envie de me tuer, et je sens que je ne me serais jamais donné un coup de pistolet par la tête pour un baiser âcre de Mme  de Wolmar.

J’ai eu l’honneur de vous envoyer un petit chant de la Pucelle, par Versailles ; je ne sais plus comment faire.


4484. — À M.  LE CONSEILLER LE BAULT[3].
Au château de Ferney, 8 mars 1761.

Monsieur, je vous prie d’avoir la bonté de m’informer par quelle voie vous m’envoyez de votre nectar de Bourgogne. Cela m’est important, parce que je crois qu’il y a des droits à payer pour la sortie de France, et il serait triste de payer comme étranger quand on est bon Français et surtout quand on est Bourguignon comme j’ai l’honneur de l’être. Il est vrai que je suis séparé de vous par d’abominables montagnes, et je crois que votre vin fait le grand tour, et arrive par Versoy. Je vous serai très-obligé de vouloir bien me mettre au fait de la géographie de mes deux tonneaux. Cette affaire est plus agréable que celle de ce maudit curé. Je sais fort bien, monsieur, que votre tribunal n’a rien à démêler avec celui de la confession, et qu’il y a une différence énorme entre la justice que vous rendez, et l’abus que les jésuites font quelquefois de ce beau sacrement de pénitence. Je me doute bien qu’on ne peut que les tympaniser et non les actionner ; mais je ne veux point prendre parti dans cette affaire, attendu que j’ai été assigné en témoignage, et qu’il faut qu’un témoin ait l’air impartial. Ce beau procès ira sans doute au par-

  1. Chapitre ier, verset 3.
  2. Lettre XXI, partie iii.
  3. Éditeur, de Mandat-Grancey.