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n’est pas convenable que le père, qui nous a confié sa fille, repousse hautement les bruits qui la déshonorent ?

Il est indubitable que le lieutenant de police fera comparaître le coquin, et cette scène produira une relation de vous qu’on pourra mettre dans tous les papiers publics. Elle sera vraie, elle sera forte et touchante, parce que vous l’aurez faite. Elle convaincra Fréron de calomnie, et décréditera ses indignes feuilles, indignement soutenues par M.  de Malesherbes.

Pardonnez, monsieur, si je dicte toutes mes lettres : mon état est bien languissant ; mais je me sens encore de la chaleur dans le cœur, et surtout pour vous, à qui je dois les sentiments de la plus tendre estime.

De tout mon cœur, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


Voltaire.

4469. — À MADAME D’ÉPINAI.
À Ferney, le 19 février.

Quoique ma belle philosophe n’écrive qu’à des huguenots, cependant un bon catholique lui envoie ces petites Lettres[1]. On suppose, en les lui envoyant, qu’elle est très-engraissée ; si cela n’est pas, elle peut passer la page 20, où l’on reprend un peu vivement l’ami Jean-Jacques d’avoir trouvé que les dames de Paris sont maigres ; il ajoute qu’elles sont un peu bises, mais comme ma belle philosophe nous a paru très-blanche, elle pourra lire cette page 20 sans se démonter ; à l’égard des autres pages, elle en fera ce qu’elle voudra.

On se flatte que le Père de famille a été joué, et qu’il l’a été avec succès ; ce succès est bien nécessaire et bien important : il pourrait contribuer à mettre Diderot de l’Académie ; ce serait une espèce de sauvegarde, contre les fanatiques et les hypocrites de la ville et de la cour, qui blasphèment la philosophie et qui insultent à la vertu. Pour Jean-Jacques, ce n’est qu’un misérable qui a abandonné ses amis, et qui mérite d’être abandonné de tout le monde. Il n’a dans son cœur que la vanité de se montrer dans les débris du tonneau de Diogène, et d’ameuter les passants pour leur faire contempler son orgueil et ses haillons. C’est dommage, car il était né avec quelques demi-talents, et il au-

  1. Sur la Nouvelle Héloïse, voyez tome XXIV, page 165.