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d’elle qu’elle est élevée par un bateleur de l’Opéra, il en demanderait vengeance et l’obtiendrait. L’honneur d’une famille n’a rien de commun avec de mauvaises critiques littéraires. Le déni de justice dont on nous menace en cette occasion n’est qu’une suite de l’indigne mépris que la nation a toujours fait des belles-lettres qui font sa gloire. Que Fréron dise de la fille d’un conseiller au Châtelet ce qu’il a dit de Mlle  Corneille, il sera mis au cachot, sur ma parole ; mais il aura outragé la descendante du grand Corneille impunément, parce que l’impertinence française ne considère ici que la parente d’un auteur élevée par un auteur. Telle est, monsieur, la manière de penser, orgueilleuse et basse à la fois, des légers citoyens de Paris.

C’est une chose honteuse que M.  de Malesherbes soutienne ce monstre de Fréron, et que le Journal des Savants ne soit payé que du produit des feuilles scandaleuses d’un homme couvert d’opprobre. Mais vous m’ouvrez une voie que je crois qu’il faut tenter, c’est celle de M.  le comte de Saint-Florentin : il hait Fréron, il protège beaucoup L’Écluse ; vous avez en main, monsieur, le certificat de Mme  Denis, celui du résident de France à Genève, la procuration de L’Écluse même. Ne pourriez-vous pas faire adresser toutes ces pièces à M.  de Saint-Florentin, avec une lettre de M.  Corneille, qui lui représenterait l’outrage fait à lui et à sa fille, les mots : de belle éducation au sortir du couvent ! etc. ; mots qui seuls sont capables d’empêcher cette demoiselle de se marier ?

Une lettre forte et touchante, telle que vous savez les écrire, ferait peut-être quelque effet. Il est certain que si cette démarche est sans succès, elle n’est pas dangereuse : il est donc clair qu’on la doit faire.

Le pis aller après cela, monsieur, serait de livrer ce coquin à l’indignation du public, en démontrant sa calomnie. L’Écluse est un homme de cinquante ans, très-raisonnable, et qui a de l’esprit ; mais nous sommes éloignés de lui confier l’éducation de Mlle  Corneille. Je vous répète, monsieur, que nous avons pour elle les soins et les égards que nous aurions pour une Montmorency ; que nous y mettons notre gloire. Non-seulement Mlle  Corneille est devenue notre fille, mais nous la respectons. Et une preuve de nos attentions, c’est qu’elle ne sait rien de l’indigne outrage que le dernier des hommes a osé lui faire.

Je ne vous écris point de ma main, parce que j’ai un peu de goutte.

J’ajoute seulement, monsieur, que si M.  de Saint-Florentin ne punit pas le coquin, si vous dédaignez de lui donner cent