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4446. — À M.  LE PRÉSIDENT DE RUFFEY[1].

Vous me permettez, monsieur, de vous importuner sur la malheureuse affaire du sieur Decroze. Il joint à la douleur d’avoir vu son fils prêt[2] (sic) de mourir par un assassinat, celle de voir l’assassin triompher de son affliction. Il est soutenu par une cabale puissante contre un pauvre homme sans secours[3], qui n’a ni assez d’intelligence, ni peut-être assez de fortune pour le suivre dans les détours de la chicane la plus odieuse et la plus longue. Ce curé, assez connu à Dijon par une foule de procès qu’il y est venu soutenir, attend que les cicatrices des plaies faites au jeune Decroze puissent être fermées, afin qu’il paraisse que les blessures n’ont été que légères, et que l’assassinat passe pour une simple querelle ; mais je peux vous assurer que le temps, qui est le seul refuge du curé, laissera toujours paraître les preuves de son attentat. Le crâne a été ouvert, et le lieutenant criminel lui-même a vu le malade en danger de mort. Je l’ai vu moi-même en cet état. J’apprends que le curé a appelé du décret d’ajournement personnel et de prise de corps rendu à Gex. Il fonde ses malheureuses défenses sur une méprise qu’on dit être dans les dépositions. On a déposé en efïet que : ledit curé avait été boire chez Mme  Burdet le 27, veille de l’assassinat, et il se trouve que ce n’est que le 26 ; mais cette erreur de date n’emporte point une erreur de fait, et cette petite méprise est aisément corrigée au récolement et aux confrontations.

Il se fonde encore sur la mauvaise réputation de la dame Burdet, chez laquelle l’assassinat s’est commis, et qu’il a frappée lui-même. Mais si la dame Burdet est une femme diffamée, pourquoi allait-il boire chez elle ? Pourquoi part-il d’une demi-lieue de sa maison pour aller à dix heures du soir chez cette femme avec des gens armés ? Il a l’audace de dire que c’était pour arrêter le scandale ; mais est-ce à lui à exercer la police ? L’exerce-t-on à coups de bâton ? Lui est-il permis d’entrer pendant la nuit chez une ancienne bourgeoise du lieu, très-bien alliée, qui soupait paisiblement avec ses amis ? Les violences précédentes de ce curé, le procès qui lui fut intenté par le notaire Vaillet pour avoir

  1. Éditeur, Th. Foisset.
  2. Voyez la note, tome XIV, page 418.
  3. Decroze père parait avoir été ce qu’on nommait alors un bourgeois de campagne. Voltaire lui avait ouvert sa bourse, et le président de Brosses y joignait son appui.