Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/195

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fais élever Mlle  Corneille, au sortir du couvent, par un bateleur de la Foire que je traite en frère depuis un an ; et que Mlle  Corneille aura une plaisante éducation ».

Ces lignes diffamatoires sont d’autant plus punissables qu’elles outragent personnellement Mlle  Corneille, et surtout Mme  Denis, ma nièce, qui l’élève comme sa fille. Mes amis et le public sentiront aisément que Mlle  Corneille, étant chez moi, ne peut jamais trouver un mari que par la conduite la plus irréprochable. Fréron la perd sans ressource, en avançant faussement que je la fais élever par L’Écluse. Il est très-faux que L’Écluse soit chez moi ; il y a environ six mois qu’il exerce sa profession de chirurgien-dentiste à Genève, et qu’il n’est sorti de cette ville. Mme  Denis, qui l’avait mandé, il y a environ huit mois, pour lui accommoder les dents, ne l’a pas revu deux fois depuis ce temps-là ; il travaille sans relâche à Genève, et y rend de très-grands services.

Il est très-permis au nommé Fréron de critiquer tant qu’il voudra des vers et de la prose, mais il ne lui est permis ni d’attaquer une dame, veuve d’un gentilhomme mort au service du roi, ni une demoiselle alliée aux plus grandes maisons du royaume, et qui porte un nom plus grand que ses alliances ; ni même le sieur L’Écluse, qui peut avoir joué autrefois la comédie, mais qui est chirurgien du roi de Pologne, et auquel le reproche d’avoir été acteur peut faire un très-grand tort dans sa profession. Ces trois diffamations réunies forment un corps de délit dont il est nécessaire de demander justice. Le père de Mlle  Corneille outragée doit agir en son nom sans aucun délai.

La poste va partir ; je n’ai que le temps d’ajouter à ma lettre que je persiste toujours dans mon opinion sur les finances. Il y a eu beaucoup de dissipation et de brigandage, je l’avoue ; mais quand on a contre les Anglais une guerre si funeste, il faut, ou que toute la nation combatte, ou que la moitié de la nation s’épuise à payer la moitié qui verse son sang pour elle. J’ai une pension du roi, je rougirais de la recevoir tant qu’il y aura des officiers qui souffriront[1].

Je suis pénétré de la plus tendre reconnaissance pour toutes les bontés assidues de M.  Damilaville et de M.  Thieriot. Plura alias.

  1. Voyez la lettre à Mme  de Lutzelbourg, du 10 mars 1761.