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4435. — À M.  LE COMTE D’ARGENTAL.
Au château de Ferney, 26 janvier.

Et ces yeux, ces yeux que vous fermez quand vous êtes content, se portent-ils mieux, mon cher ange ?

J’ai un besoin très-grand d’être fortement recommandé à M.  de Villeneuve[1]. Est-il possible que je n’aie besoin de personne dans le pays étranger, et que j’aie besoin d’un intendant en France, avec mes terres libres ? Je ferai une belle requête pour M.  le duc de Choiseul ; mais je lui ai tant demandé de choses pour les autres que je n’ose plus lui rien demander pour moi.

J’ai de terribles affaires sur les bras. Je chasse les jésuites d’un domaine usurpé par eux ; je poursuis criminellement un curé ; je convertis une huguenote ; et ma besogne la plus difficile est d’enseigner la grammaire à Mlle  Corneille, qui n’a aucune disposition pour cette sublime science.

Est-il vrai, monsieur et madame, mes anges tutélaires, est-il vrai qu’on joue Tancrède ?

Est-il vrai qu’on joue aux Italiens une parade intitulée le Comte de Boursoufle[2], sous mon nom ? Justice ! justice ! Puissances célestes, empêchez cette profanation ; ne souffrez pas qu’un nom que vous avez toujours daigné aimer soit prostitué dans une affiche de la Comédie italienne. J’imagine qu’il est aisé de leur défendre d’imputer, dans les carrefours de Paris, à un pauvre auteur, une pièce dont il n’est pas coupable.

J’estime, mes anges, qu’il faut retrancher Lefranc de ce Panta-odai[3] à Mlle  Clairon ; nous le retrouverons bien une autre fois. Il ne faut pas souiller par une satire les louanges de Melpomène. En ôtant Lefranc, tout va, tout se lie.

Et le roman de Jean-Jacques ! À mon gré, il est sot, bourgeois, impudent, ennuyeux ; mais il y a un morceau admirable sur le suicide[4], qui donne appétit de mourir.

Avez-vous vu celui de La Popelinière ou Pouplinière[5] ?

Est-ce vous qui avez envoyé à M.  de La Marche notre Tancrède ?

  1. Dufour de Villeneuve, nommé intendant de Bourgogne en 1760.
  2. Voyez tome VII, page 543.
  3. Êpître à Daphné ; voyez tome X. Le nom de Lefranc y est resté.
  4. La Nouvelle Héloïse, partie III, lettre xxi.
  5. Voyez la lettre 4462.