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Nous exprimerions encore différemment l’intrépidité tranquille que les connaisseurs admirèrent dans le petit-neveu[1] du héros de la Valteline[2], lorsque, ayant vu son armée en déroute par une terreur panique de nos alliés, ce général, ayant aperçu le régiment de Diesbach et un autre, qui faisaient ferme contre une armée victorieuse, quoiqu’ils fussent entamés par la cavalerie et foudroyés par le canon, marcha seul à ces régiments, loua leur valeur, leur courage, leur fermeté, leur intrépidité, leur vaillance, leur patience, leur audace, leur animosité, leur bravoure, leur héroïsme, etc. Voyez, monsieur, que de termes pour un ! Ensuite il eut le courage de ramener ces deux régiments à petits pas, et de les sauver du péril où leur valeur les jetait ; les conduisit en bravant les ennemis victorieux, et eut encore le courage de soutenir les reproches d’une multitude toujours mal instruite.

Vous pourrez encore voir, monsieur, que le courage, la valeur, la fermeté de celui[3] qui a gardé Cassel et Gœttingen[4], malgré les efforts de soixante mille ennemis très-valeureux, est un courage composé d’activité, de prévoyance, et d’audace. C’est aussi ce qu’on a reconnu dans celui[5] qui a sauvé Vesel. Croyez donc, je vous prie, monsieur, que nous avons, dans notre langue, l’esprit de faire sentir ce que les défenseurs de notre patrie ou de notre pays ont le mérite défaire.

Vous nous insultez, monsieur, sur le mot de ragoût ; vous vous imaginez que nous n’avons que ce terme pour exprimer nos mets, nos plats, nos entrées de table, et nos menus. Plût à Dieu que vous eussiez raison, je m’en porterais mieux ! mais malheureusement nous avons un dictionnaire entier de cuisine.

Vous vous vantez de deux expressions pour signifier gourmand ; mais daignez plaindre, monsieur, nos gourmands, nos goulus, nos friands, nos mangeurs, nos gloutons.

Vous ne connaissez que le mot de savant ; ajoutez-y, s’il vous plaît, docte, èrudit, instruit, éclaire, habile, lettré ; vous trouverez

  1. Le prince de Soubise, le 5 novembre 1757. — On voit dans une lettre à d’Argental, du 2 décembre 1757, que Voltaire savait à quoi s’en tenir sur l’intrépidité tranquille de Soubise à Rosbach.
  2. Ce passage, ainsi que d’autres, fut falsifié dans le volume intitulé Lettres de M.  de Voltaire à ses amis du Parnasse ; voyez tome XXV, page 579, et ci-après, la lettre à Deodati de Tovazzi, du 9 septembre 1766.
  3. Le maréchal de Broglie.
  4. Le comte de Vaux commandait à Gœttingue.
  5. Le marquis de Schomberg fut chargé, par le marquis de Castries, de faire lever le siège de Vesel.