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Croyez-vous que tous ces o soient bien agréables à une oreille qui n’y est pas accoutumée ? Comparez à cette triste uniformité, si fatigante pour un étranger ; comparez à cette sécheresse ces deux vers simples de Corneille :


Le destin se déclare, et nous venons d’entendre
Ce qu’il a résolu du beau-père et du gendre.

(La Mort de Pompée, acte I, scène i.)

Vous voyez que chaque mot se termine différemment. Prononcez à présent ces deux vers d’Homère :


Ἐξ οὗ δὴ τὰ πρῶτα διαστήτην ἐρίσαντε
Ἀτρείδης τε, ἄναξ ἀνδρῶν, καὶ δῖος Ἀχιλλεύς.

(Iliade, liv. I, v. 6.)

Qu’on prononce ces vers devant une jeune personne, soit anglaise ou allemande, qui aura l’oreille un peu délicate : elle donnera la préférence au grec, elle souffrira le français, elle sera un peu choquée de la répétition continuelle des désinences italiennes. C’est une expérience que j’ai faite plusieurs fois.

[1]Vos poëtes, qui ont servi à former votre langue, ont si bien senti ce vice radical de la terminaison des mots italiens qu’ils ont retranché les lettres e et o, qui finissaient tous les mots à l’intinitif, au passé, et au nominatif ; ils disent amar pour amare, nocqueron pour nocquerono, la stagion pour la stagione, buon pour buono, malevol pour malevole. Vous avez voulu éviter la cacophonie ; et c’est pour cela que vous finissez très-souvent vos vers par la lettre canine r, ce que les Grecs ne firent jamais.

J’avoue que la langue latine dut longtemps paraître rude et barbare aux Grecs, par la fréquence de ses ur, de ses um, qu’on prononçait our et oum, et par la multitude de ses noms propres, terminés tous en us ou plutôt en ous. Nous avons brisé plus que vous cette uniformité. Si Rome était pleine autrefois de sénateurs et de chevaliers en us, on n’y voit à présent que des cardinaux et des abbés en i.

Vous vantez, monsieur, et avec raison, l’extrême abondance de votre langue ; mais permettez-nous de n’être pas dans la disette. Il n’est, à la vérité, aucun idiome au monde qui peigne toutes les nuances des choses. Toutes les langues sont pauvres à

  1. Cet alinéa et le suivant ne sont ni dans le recueil de 1766, ni dans l’édition originale. (B.)