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une fille était bien éduquée. au lieu de bien élevée. Je parcours un roman du citoyen de Genève[1], moitié galant, moitié moral, où il n’y a ni galanterie, ni vraie morale, ni goût, et dans lequel il n’y a d’autre mérite que celui de dire des injures à notre nation. L’auteur dit qu’à la Comédie les Parisiens calquent les modes françaises sur l’habit romain. Tout le livre est écrit ainsi ; et, à la honte du siècle, il réussira peut-être.

Mon cher doyen, le siècle passé a été le précepteur de celui-ci ; mais il a fait des écoliers bien ridicules. Combattez pour le bon goût ; mais voudrez-vous combattre pour les morts ?

Adieu. Je voudrais que vous fussiez ici ; vous m’aideriez à rendre Mlle Corneille digne de lire les trois quarts de Cinna, et presque tout le rôle de Chimène et de Cornélie : je dis presque tout, et non pas tout, car je ne connais aucun grand ouvrage parfait, et je crois même que la chose est impossible.


4432. — À M. DEODATI DE TOVAZZI.
Au château de Ferney, en Bourgogne, 24 janvier.

Je suis très-sensible, monsieur, à l’honneur que vous me faites de m’envoyer votre livre de l’Excellence de la langue italienne[2] ; c’est envoyer à un amant l’éloge de sa maîtresse. Permettez-moi cependant quelques réflexions en faveur de la langue française, que vous paraissez dépriser un peu trop. On prend souvent le parti de sa femme, quand la maîtresse ne la ménage pas assez.

Je crois, monsieur, qu’il n’y a aucune langue parfaite. Il en est des langues comme de bien d’autres choses, dans lesquelles les savants ont reçu la loi des ignorants. C’est le peuple ignorant qui a formé les langages ; les ouvriers ont nommé tous leurs instruments. Les peuplades, à peine rassemblées, ont donné des noms à tous leurs besoins ; et, après un très-grand nombre de siècles, les hommes de génie se sont servis, comme ils ont pu, des termes établis au hasard par le peuple.

Il me paraît qu’il n’y a dans le monde que deux langues véritablement harmonieuses, la grecque et la latine. Ce sont en effet

  1. Julie.
  2. La Dissertation sur l’Excellence de la langue italienne, par Deodati de Tovazzi, parut en 1761, in-8° de iv et 60 pages. On ne trouve pas à la suite les deux lettres dont Deodati de Tovazzi parle dans son certificat rapporté tome XXV, page 581.