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vaisseaux, cordages, bœuf salé, artillerie, chevaux, poudre, et messieurs leurs commis, et messieurs leurs laquais, et mesdames leurs catins. J’ai trois terres ici, dont une jouit de toutes franchises, comme le franc-alleu le plus primier ; et le roi m’ayant conservé, par un brevet, la charge de gentilhomme ordinaire, je jouis de tous les droits les plus agréables. J’ai terre aux confins de France, terre à Genève, maison à Lausanne ; tout cela dans un pays où il n’y a point d’archevêque qui excommunie les livres qu’il n’entend pas. Je vous offre tout, disposez-en.

Cet archevêque[1] dont vous me parlez, ferait bien mieux d’obéir au roi, et de conserver la paix, que de signer des torcheculs de mandements. Le parlement a très-bien fait, il y a quelques années, d’en brûler quelques-uns, et ferait fort mal de s’occuper d’un livre de métaphysique, portant privilège du roi. J’aimerais mieux qu’il me fît justice de la banqueroute du fils[2] de Samuel Bernard, juif, fils de juif, mort surintendant de la maison de la reine, maître des requêtes, riche de neuf millions, et banqueroutier. Vendez votre charge de maître d’hôtel, vende omnia quæ habes, et sequere me[3]. Il est vrai que les prêtres de Genève et de Lausanne sont des hérétiques qui méprisent saint Athanase, et qui ne croient pas Jésus-Christ Dieu ; mais on peut du moins croire ici la Trinité, comme je fais, sans être persécuté ; faites-en autant. Soyez bon catholique, bon sujet du roi, comme vous l’avez toujours été, et vous serez tranquille, heureux, aimé, estimé, honoré partout, particulièrement dans cette enceinte charmante couronnée par les Alpes, arrosée par le lac et par le Rhône, couverte de jardins et de maisons de plaisance, et près d’une grande ville où l’on pense. Je mourrais assez heureux si vous veniez vivre ici. Mille respects à madame votre femme.

Notre nièce est très-sensible à l’honneur de votre souvenir.


4426. — À M. LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC.
À Ferney, 20 janvier.

Vous connaissez ma vie, monsieur ; mes occupations sont fort augmentées. Depuis que j’ai eu le malheur de vous perdre[4], je n’ai pas eu un moment à moi. J’ai voulu vous écrire tous les

  1. Christophe de Beaumont.
  2. Bernard de Coubert.
  3. Saint Matthieu, chap. xiv, vers 21.
  4. D’Argence avait visité Voltaire en septembre précédent.