Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome41.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rate, et un certain commodore qui nous a frottés dans l’Inde, sont venus me voir ; ils m’ont assuré que Pondichéry serait à eux dans quatre mois. Dieu veuille que M.  Berryer confonde mon Commodore !

Pour me dépiquer des malheurs publics et des miens propres (car je navigue malheureusement dans la barque), je me suis mis à jouer force tragédies, et nous gardons des rôles pour madame l’ambassadrice. Nous jouâmes Fanime ces jours passés ; la scène est à Saïd, petit port de Syrie. Nous eûmes pour spectateur un Arabe (jui est de Saïd même, qui sait sept ou huit langues, qui parle très-bien français, et qui eut beaucoup de plaisir. Savez-vous bien que j’ai eu un autre arabe ? C’est l’abbé d’Espagnac. Pourquoi faut-il qu’un homme si coriace soit si aimable ! Vivent les gens faciles en affaires ! la vie est trop courte pour chipoter.

Vous connaissez la belle lettre[1] de Luc, où il parle si courtoisement de M.  le duc de Choiseul. J’ai bien peur que mes Russes n’aient pris aussi une lettre qu’il m’adressait. Cet homme ne ménage pas plus les termes que ses troupes ; il perdra ses États pour avoir fait des épigrammes. Ce sera du moins une aventure unique dans les chroniques de ce monde.

Je suis un grand babillard, monsieur ; mais il est si doux de s’entretenir avec vous des sottises du genre humain, et de vous ouvrir son cœur ! Je compte si fort sur vos bontés que je me suis laissé aller. Conservez-moi, et madame l’ambassadrice, un peu de souvenir et de bienveillance. Je vous avertis que Mme  Denis est devenue très-digne de jouer les seconds rôles avec Mme  de Chauvelin.

L’oncle et la nièce sont à ses pieds. Je vous présente mon tendre respect dans la foule de ceux qui vous aiment.


4285. — À M.  LE DOCTEUR TRONCHIN[2].

Voici, mon cher Esculape, le volume dont vous voulez sans doute amuser Son Excellence. Je vous demande en grâce de me le renvoyer au plus tôt. J’ai cherché la lettre de ce J.-J. ou J.-F.

  1. Cette lettre, adressée à d’Argens, et datée de Hersmannsdorff, près de Breslan, le 27 août 1760, est dans la Correspondance littéraire de Grimm, du 15 septembre suivant. On lit cette phrase dans le dernier alinéa : « Je sais un trait du duc de… (Choiseul) que je vous conterai lorsque je vous verrai. Jamais procédé plus fou et plus inconséquent n’a flétri un ministre de France, depuis que cette monarchie en a. » — Voyez plus bas la lettre 4317.
  2. Éditeurs, de Cayrol et François.