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                  Qu’entends-je ? vous, mon père !
— Moi, ton père ! … est-ce à toi de prononcer ce nom ?

(Scène ii.)


Vous pouvez être convaincus que cela jette dans l’acte un attendrissement, un intérêt qui manquait. Cet acte, qui paraissait froid, doit être brûlant, s’il est bien joué.

À propos de froid, c’est un secret sûr, pour faire de la glace, que de placer des détails historiques au milieu de la passion, à moins que ces détails ne soient réchauffés par quelques interjections, par des retours sur soi-même, par des figures qui raniment la langueur historique.


Mais, craignant de lui nuire en cherchant à le voir,
Il crut que m’avertir était son seul devoir[1].


Ces deux vers ralentissent. Je raisonne poésie avec mes anges, je disserte ; ils me le pardonnent.

Non-seulement ces détails sont froids, mais le spectateur est en droit de dire : En quoi donc cet esclave craignait-il de nuire à Tancrède ? pourquoi, étant dans son camp, n’a-t-il pas cherché à le voir ? il devait, sans doute, tout faire pour approcher de Tancrède. Il serait difficile de répondre à cette critique.

Ne vaut-il pas mieux supposer, en général, que mille obstacles ont empêché l’esclave d’aller jusqu’à Tancrède ? Aménaïde, en se plaignant de ces obstacles et de la destinée qui lui a toujours été contraire, en faisant parler ses douleurs, en se livrant à l’espérance, intéresse bien davantage ; tout devient plus naturel et plus animé. Enfin je resupplie, je reconjure à genoux M. et Mme d’Argental de s’en tenir à mon dernier mot. J’ose espérer que la reprise sera favorable ; mais que mes anges se mettent à la tête du parti raisonnable, qui n’est ni pour les tragédies à marionnettes ni pour les tragédies à conversations ; qu’ils soutiennent rigoureusement le grand et véritable genre, celui du cinquième acte de Rodogune, d’Athalie, et peut-être du quatrième acte de Mahomet, du troisième de Tancrède, de Sémiramis, etc.

Vous devez avoir un chant de la Pucelle ; il n’est pas correct malheureusement ; le meilleur y manque. Vous avez Acanthe[2]. Oh, pardieu ! que manque-t-il à Acanthe ? nous sommes fous

  1. Voyez tome V, page 564.
  2. C’est le nom d’un personnage du Droit du Seigneur.