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3805. — DE M.  LE BARON DE HALLER[1].
15 mars.

… Je ne voudrais pas que vous appelassiez libelle ce qu’on vient d’imprimer à Lausanne, et ce que j’ai lu depuis.

Il y a des disputes littéraires, il y a quelques apologies de la religion, de la Suisse et de Calvin ; il y a trop de véhémence, surtout dans les premières pièces, vis-à-vis d’un homme tel que vous ; mais le mot libelle a un autre sens.

C’était un libelle que le livre de La Mettrie : il prétendait m’avoir vu et connu ; il me prêtait, sous ce prétexte, des conversations et des connaissances honteuses pour un homme de mon âge et de ma profession. C’était d’un bout à l’autre une calomnie personnelle. Je ne m’adressai pourtant ni au roi, ni à des ambassadeurs, ni aux chefs de Berlin ; je me contentai de prier un ami commun de faire révoquer par cette tête légère des mensonges qu’il eût fallu démentir si M.  de La Mettrie ne les avait désavoués ; dès lors, ce qui aurait été une anecdote aurait été une extravagance, et je n’ai jamais songé à flétrir l’indigne abus qu’on avait fait de la liberté d’écrire.


3806. — À M.  LE MARQUIS DE THIBOUVILLE.
Au château de Tournay, par Genève, 15 mars.

J’ai lu enfin, mon cher marquis, ce Candide dont vous m’avez parlé, et plus il m’a fait rire, plus je suis fâché qu’on me l’attribue. Au reste, quelque roman qu’on fasse, il est difficile à l’imagination d’approcher de ce qui se passe trop réellement sur ce triste et ridicule globe depuis quelques années. Nous nous intéressons un peu, Mme  Denis et moi, aux malheurs publics, à la persécution suscitée contre des philosophes très-estimables, à tout ce qui intéresse le genre humain ; et quand nos amis ne nous parlent que de pièces de théâtre et de romans qui nous sont parfaitement inconnus, que voulez-vous que nous répondions ? Elle dit que l’amitié doit se nourrir par la confiance, que les lettres de nos amis doivent toujours nous apprendre quelque chose. Je suis mort au monde ; il faut des élixirs pour me rappeler à la vie. Votre amitié est le meilleur de tous. L’oncle et la nièce sont également sensibles à votre mérite, et vous seront toujours très-tendrement attachés.

  1. Biographie d’Albert de Haller (2e édition), Paris, Delay, 1845. — Desnoiresterres, Voltaire aux Délices.