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Détaillons un peu les obligations que je vous ai. Premier acte, premier remerciement. La première scène du second, supprimée ; profit tout clair. Le monologue que j’ai envoyé fait très-bien chez nous, et doit réussir chez vous. Au troisième acte, pardon. Ce n’est pas sûrement vous qui avez mis ces malheureux vers :


Car tu m’as déjà dit que cet audacieux[1]
À sur Aménaïde osé lever les yeux, etc.


On devrait lui répondre : « Mon ami, si on t’a déjà dit qu’on te prend ta maîtresse, tu devais donc en parler d’abord, tu devais donc être au désespoir. » C’est un contre-sens horrible.

Écoutez-moi, mes chers anges. On n’a pas fait réflexion qu’Aldamon n’est pas encore le confident de la passion de Tancrède ; on a imaginé que Tancrède lui parlait comme à un homme instruit de l’état de son cœur : il est évident que c’est et que ce doit être tout le contraire. Aldamon est un soldat attaché à Tancrède, qui a favorisé son retour, et rien de plus. Il est si clair qu’il ne sait point la passion de Tancrède, que Tancrède lui dit :


Cher ami, je te dois
Plus que je n’ose dire, et plus que tu ne crois.

(Acte III, scène i.)


Donc Aldamon ne sait rien. Peu à peu la confiance se forme dans cette scène, et Aldamon, qui doit avoir assez de sens pour apercevoir une passion qu’il approuve, court faire son message, en disant à Tancrède,

C’est vous qui m’envoyez, je réponds du succès.


Il est bien mieux de mettre ce je réponds du succès dans la bouche du confident que dans celle de Tancrède, car alors Tancrède dit, avec bien plus de bienséance et d’enthousiasme, il sera favorable. Nous demandons tous à genoux qu’on laisse le troisième acte comme il est. Est-il possible qu’on ait ôté ces vers :


Rien n’est changé, je suis encor sous le couteau.
Tremblez moins pour ma gloire, etc.

(Acte III, scène vii.)

Ces vers, récités avec une fermeté attendrissante, ont arraché des larmes. Si le père est si étriqué, s’il ne prend pas un intérêt

  1. Voyez tome V, page 567.