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philosophie ni du monde[1]. Je réponds cependant à votre lettre du 13 septembre, mais c’est en vous priant, par tous les devoirs de la société, de ne point publier ce que je ne vous écris que pour vous seul.

Je commence par vous remercier de la part que vous voulez bien prendre au petit succès de Tancrede. Vous avez raison de ne vouloir d’appareil et d’action au théâtre qu’autant que l’un et l’autre sont liés à l’intérêt de la pièce ; vous écrivez trop bien pour ne pas vouloir que le poëte l’emporte sur le décorateur.

Je suis encore de votre avis sur les guerres littéraires ; mais vous m’avouerez[2] que, dans toute guerre, l’agresseur seul a tort devant Dieu et devant les hommes. La patience m’a échappé au bout de quarante années ; j’ai donné quelques petits coups de patte à mes ennemis, pour leur faire sentir que, malgré mes soixante-sept ans, je ne suis pas paralytique. Vous vous y êtes pris de meilleure heure que moi ; vous avez fait des estafilades à des gens qui ne vous attaquaient pas, et malheureusement je suis l’ami de quelques personnes à qui vous avez fait sentir vos griffes. Je me suis donc trouvé entre vous et mes amis, que vous déchirez ; vous sentez que vous me mettiez dans une situation très-désagréable. J’avais été touché de la visite que vous m’aviez faite aux Délices[3] ; j’avais conçu beaucoup d’amitié pour vous et pour M.  Patu, avec qui vous aviez fait le voyage ; et mes sentiments, partagés entre vous et lui, se réunissaient pour vous après sa mort. Vos lettres m’avaient beaucoup plu ; je m’intéressais à vos succès, à votre fortune ; votre commerce, qui m’était très-agréable, a fini par m’attirer les reproches les plus vifs de la part de mes amis. Ils se sont plaints de ma correspondance avec un homme qui les outrageait. Pour comble de désagrément, on m’a envoyé des Notes[4] imprimées en marge de vos lettres ; ces notes sont de la plus grande dureté.

Vous ne devez pas être étonné que des esprits offensés ne ménagent pas l’offenseur. Cette guerre avilit les lettres ; elles étaient déjà assez méprisées et assez persécutées par la plupart des

  1. Voici le texte donné par Palissot : « … ni du monde. Mais je dois vous remercier. »
  2. Texte de Palissot : « mais vous sentez ».
  3. En 1755. — Voyez la lettre 3071.
  4. Le petit recueil publié par Palissot, et dont il est parlé dans la note 2 de la page précédente, fut reproduit dans le Recueil des facéties parisiennes (voyez tome XXIV, page 127). Cinq notes assez dures contre Palissot avaient été ajoutées au bas des pages de sa Lettre à un journaliste, qui termine sa petite brochure.