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j’aime encore mieux l’honneur de la littérature. Je vous demande pardon de ne pas vous écrire de ma main ; je suis un peu malingre.

Encore un mot, je vous prie, malgré mon peu de forces. Il me vient dans la tête que le travail de votre dictionnaire devient la raison la plus plausible et la plus forte pour recevoir M.  Diderot. Ne pourriez-vous pas représenter ou faire représenter combien un tel homme vous devient nécessaire pour la perfection d’un ouvrage nécessaire ? Ne pourriez-vous pas, après avoir établi sourdement cette batterie, vous assembler sept ou huit élus, et faire une députation au roi pour lui demander M.  Diderot comme le plus capable de concourir à votre entreprise ? M.  le duc de Nivernais ne vous seconderait-il pas dans ce projet ? Ne pourrait-il pas même se charger de porter avec vous la parole ? Les dévots diront que Diderot a fait un ouvrage de métaphysique qu’ils n’entendent point ; il n’a qu’à répondre qu’il ne l’a pas fait, et qu’il est bon catholique. Il est si aisé d’être catholique !

Adieu, monsieur ; comptez sur ma reconnaissance et mon attachement inviolable. Vous prendrez peut-être mes idées pour des rêves de malade ; rectifiez-les, vous qui vous portez bien.


4223. — À MADAME D’ÉPINAI.

Il faut qu’il entre, mon adorable philosophe ; qu’il entre, qu’il entre, vous dis-je ; contrains-les d’entrer[1].

Notre cher Habacuc, du courage, je vous en prie. La chose vous paraît impossible ; je vous ai déjà dit[2] que c’est une raison pour l’entreprendre. Nous réussirons ; croyez-moi, ce sera un beau triomphe. Mais que Diderot nous aide, et qu’il n’aille pas s’amuser à griffonner du papier dans un temps où il doit agir. Il n’a qu’une chose à faire, mais il faut qu’il la fasse : c’est de chercher à séduire quelque illustre sot ou sotte, quelque fanatique, sans avoir d’autre but que de lui plaire. Il a trois mois pour adoucir les dévots ; c’est plus qu’il ne faut. Qu’on l’introduise chez madame…, ou madame…, ou madame…, lundi ; qu’il prie Dieu avec elle mardi, qu’il couche avec elle mercredi ; et puis il entrera à l’Académie tant qu’il voudra, et quand il voudra. Comptez qu’on est très-bien disposé à l’Académie. Je recommande surtout le secret. Que Diderot ait seulement une dévote dans sa

  1. Saint Luc, chap. xiv, v. 23.
  2. Lettre 4206 à Mme  d’Épinai et à Habacuc-Grimm.