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trait ou celui de Mme  Scaliger, je les mettrai sur mon maître-autel. Je veux qu’on sache que je bâtis une église, je veux que mons de Limoges[1] le dise dans son discours à l’Académie, je veux qu’il me rende la justice que Lefranc de Pompignan m’a refusée. J’avoue que je ressemble fort aux dévots, qui font de bonnes œuvres et qui conservent leurs infâmes passions.

Il entre un peu de haine contre Luc dans ma politique. Je vous avoue que, dans le fond du cœur, je pourrais bien penser comme vous ; et, entre nous, il n’y a jamais eu rien de si ridicule que l’entreprise de notre guerre, si ce n’est la manière dont nous l’avons faite sur la terre et sur l’onde[2]. Mais il faut partir d’où l’on est, et être le très-humble et très-obéissant serviteur des événements. Il arrive toujours quelque chose à quoi on ne s’attend point, et qui décide de la conduite des hommes. Il faudrait être bien hardi à présent pour avoir un système. Je me crois aujourd’hui le meilleur politique que vous ayez en France, car j’ai su me rendre très-heureux et me moquer de tout. Il n’y a pas jusqu’au parlement de Dijon à qui je n’aie résisté en face ; et je l’ai fait désister de ses prétentions, comme vous verrez par ma réponse ci-jointe à M.  de Chauvelin[3]. Mon cher ange, je vous le répète, il ne me manque que de vous embrasser ; mais cela me manque horriblement.


4213. — À MADAME DE FONTAINE.
Aux Délices, 4 août.

Avez-vous reçu, ma chère nièce, un paquet dans lequel il y avait un exemplaire de l’Histoire du czar, avec un autre ?

Vous venez de perdre votre oncle Montigny[4] ; il faut bien s’accoutumer à perdre ses oncles, et que la loi de nature s’accomplisse ; nous en sommes actuellement aux cousins. Daumart est condamné à mort par la Tournelle de Tronchin. Qui aurait cru que ce jeune homme de vingt ans passerait avant moi !

Je ne sais aujourd’hui aucune nouvelle. Le roi de Prusse m’a écrit[5] en rentrant de Saxe ; il me paraît de bien mauvaise humeur. Tout le monde désire une paix qu’il me paraît presque

  1. Cœtlosquet.
  2. Hémistiche de Cinna, acte II, scène i.
  3. L’intendant des finances ; la lettre dont il s’agit ici nous est inconnue. (Cl.)
  4. Mignot de Montigny, père d’Etienne Mignot de Montigny, membre de l’Académie des sciences.
  5. Cette lettre de Frédéric manque.