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ont fait beaucoup de dépenses pour l’impression du livre ; ils ne sont pas riches, ils tremblent de perdre le fruit de leurs avances ; je ne peux les empêcher de débiter le livre qu’ils ont imprimé à leurs frais.

J’espère que le second volume n’essuiera pas les disgrâces que le premier a souffertes. Mon zèle ne se ralentira point ; vous m’avez fait Russe, vous m’avez attaché à Pierre le Grand. Nous avons en France une comédie dans laquelle il y a une fille amoureuse d’Alexandre le Grand[1] ; je ressemble à cette fille. Je me flatte que ma passion ne sera pas malheureuse, puisque c’est vous qui la protégez. J’attends avec empressement les nouveaux mémoires que Votre Excellence a la bonté de me destiner. Je les mettrai en œuvre dès qu’ils seront arrivés. Il est vrai que la paix serait un temps plus favorable pour faire lire ce livre dans l’Europe. Les esprits sont trop occupés de la guerre ; mais il est à croire que nos victoires nous donneront bientôt cette paix nécessaire. Alors je prendrais ce temps pour venir vous faire ma cour dans Pétersbourg, si j’avais plus de santé et moins d’années que je n’en ai. Les lettres dont vous m’honorez sont la consolation la plus flatteuse que je puisse recevoir, et la seule qui puisse me dédommager.

Je serai jusqu’au dernier jour de ma vie, avec la plus respectueuse reconnaissance et le plus inviolable attachement, etc. V.


4211. — DE M.  D’ALEMBERT.
Paris, ce 3 août.

Il y a apparence, mon cher et grand philosophe, que celui de nous deux qui se trompe sur la personne en question se trompera longtemps : car nous ne paraissons disposés ni l’un ni l’autre à changer d’avis. Quoi qu’il en soit, je n’entends rien, je l’avoue, à cette nouvelle jurisprudence qui permet à une femme de la cour de se mettre à la tête d’une cabale infâme contre des gens de lettres estimables, et qui ne permet pas aux gens de lettres outragés de donner un léger ridicule à la protectrice. Au surplus, l’abbé Morellet est enfin sorti de la Bastille, et sa détention n’aura point d’autres suites. M.  Duclos (avec qui je suis d’ailleurs fort mal, mais avec qui je me réunirai s’il est nécessaire pour la bonne cause) me dit hier en confidence que vous lui aviez écrit[2] au sujet de l’admission de Diderot à l’Académie. Nous convînmes des difficultés extrêmes, et peut-être insurmontables, de ce projet ;

  1. Dans la comédie des Visionnaire, par Desmarests, Mélisse, l’an des personnages, est amoureuse d’Alexandre le Grand.
  2. Voyez plus haut la lettre 4203.