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tel en est une preuve évidente. C’est peut-être avoir agi en trop grand seigneur que d’avoir protégé Palissot et sa pièce, sans considérer qu’en cela il faisait tort à des personnes très-estimables. C’est un malheur attaché à la grandeur de regarder les affaires des particuliers comme des querelles de chiens qui se mordent dans la rue.

Il avait donné à Palissot de quoi avoir du pain, parce que Palissot est le fils de son homme d’affaires ; mais, ayant depuis connu l’homme, il m’a mandé ces propres mots (que je vous supplie pourtant de tenir secrets) : « On peut donner des coups de bâton à Palissot, je le trouverai fort bon. »

Il doit donc vous être moralement démontré (supposé qu’il y ait des démonstrations morales) que ce ministre, véritablement grand seigneur, aurait plus protégé les lettres que M.  d’Argenson.

Je vous l’ai déjà dit, je vous le répète, six lignes très-imprudentes de la Vision ont tout gâté. On en a parlé au roi ; il était déjà indigné contre la témérité attribuée à Marmontel d’avoir insulté M.  le duc d’Aumont. L’outrage fait à Mme  la princesse de Robecq a augmenté son indignation, et peut lui faire regarder les gens de lettres comme des hommes sans frein, qui ne respectent aucune bienséance.

Voilà, mon cher ami, l’exacte vérité. Je doute fort que madame la duchesse de Luxembourg demande la grâce de l’abbé Morellet, lorsque la cendre de sa fille[1] est encore chaude ; et quand elle la demanderait, elle ne l’obtiendrait peut-être pas plus que la classe[2] du parlement de Paris n’a obtenu le rappel des exilés de la classe de Besançon. Cependant il faut tout tenter ; et si Jean-Jacques n’a pu disposer Mme  de Luxembourg à parler fortement, j’écrirai fortement, moi chétif ; les petits réussissent quelquefois en donnant de bonnes raisons ; je saurai du moins précisément ce qu’on peut espérer sur l’abbé Morellet : c’est un devoir de tout homme de lettres de faire ce qu’il pourra pour le servir.

L’admission de M.  Diderot à l’Académie ne me paraît point du tout impossible ; mais, si elle est impossible, il la faut tenter. Je regarde cette tentative, tout infructueuse qu’elle peut être, comme un coup essentiel. Je voudrais que, au temps de l’élection, il fît ses visites, non pas comme demandant la place précisément, mais comme espérant la première vacante, quand ses principes

    où Cury se moquait du duc d’Aumont n’était pas de Marmontel, avait obtenu avec beaucoup de difficulté, pour celui-ci, une pension de mille écus sur le Mercure.

  1. Sa belle-fille.
  2. Nom que commença à prendre, en 1756, l’association des parlements.